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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 121

Le mardi 9 mai 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 9 mai 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il y a eu des consultations, et il a été convenu de permettre la présence d’un photographe dans la salle du Sénat pour photographier la présentation d’une nouvelle sénatrice aujourd’hui.

Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Nouvelle sénatrice

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que le greffier du Sénat a reçu du registraire général du Canada le certificat établissant que Iris G. Petten a été appelée au Sénat.

Présentation

Son Honneur le Président informe le Sénat que la sénatrice attend à la porte pour être présentée.

L’honorable sénatrice suivante est présentée, puis remet les brefs de Sa Majesté l’appelant au Sénat. La sénatrice, en présence du greffier du Sénat, prête le serment prescrit et prend son siège.

L’honorable Iris G. Petten, de St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, présentée par l’honorable Marc Gold, c.p., et l’honorable Fabian Manning.

Son Honneur le Président informe le Sénat que l’honorable sénatrice susmentionnée a fait et signé la déclaration des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d’attester cette déclaration.

Félicitations à l’occasion de sa nomination

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, au nom du bureau du représentant du gouvernement, je prends la parole aujourd’hui pour souhaiter à la sénatrice Iris Petten la bienvenue au Sénat du Canada.

La sénatrice Petten détient un baccalauréat en arts et un baccalauréat en enseignement professionnel de l’Université Memorial de Terre-Neuve. Son alma mater lui a plus tard remis un diplôme honorifique, un doctorat en droit.

Une partie importante de la carrière antérieure de la sénatrice Petten a été passée dans le monde des affaires, où elle a connu du succès à titre d’entrepreneure. En 1984, la sénatrice Petten a commencé sa carrière dans l’industrie de la pêche, dans l’entreprise Fishery Products International. Elle est ensuite devenue actionnaire fondatrice et vice-présidente de Grand Atlantic Seafoods. En 2000, elle a cofondé l’entreprise Ocean Choice International, où elle a continué à travailler jusqu’en 2008.

(1410)

C’est dans sa petite enfance que la sénatrice Petten a commencé son apprentissage dans le monde de la pêche. À l’instar des générations qui l’ont précédé, son père était pêcheur et constructeur de bateaux.

Sénatrice Petten, vos racines profondes s’avéreront inestimables pour faire avancer les dossiers importants pour les Terre-Neuviens et les Labradoriens, mais je soupçonne qu’une grande partie de vos connaissances et de vos compétences dans le domaine de l’industrie de la pêche sont transférables et qu’elles constitueront certainement un bienfait et un atout pour les régions côtières du Pacifique et de l’Arctique, compte tenu des difficultés auxquelles nous savons qu’elles sont confrontées.

[Français]

Outre sa longue et brillante carrière dans le secteur de la pêche dans la région de l’Atlantique, la sénatrice Petten a été une membre active de sa communauté, notamment en exerçant trois mandats en tant que présidente du conseil d’administration de l’Université Memorial de Terre-Neuve, de 2013 à 2022.

[Traduction]

Sénatrice Petten, je vous souhaite encore une fois la bienvenue au Sénat du Canada. Nous sommes honorés de vous compter parmi nos collègues. Je parle au nom de nous tous, mais je suis particulièrement convaincu que les sénateurs Manning, Marshall, Wells et Ravalia veilleront à ce que vous vous sentiez très à l’aise à Ottawa, comme nous tous.

Bienvenue et merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, au nom de l’opposition et du caucus conservateur du Sénat, je suis heureuse de prendre la parole pour souhaiter la bienvenue à notre nouvelle collègue, qui a été assermentée il y a quelques minutes à peine.

Bienvenue au Sénat du Canada, honorable Iris Petten. Nous avons hâte de collaborer avec vous dans cette enceinte. Je suis convaincue que la journée sera chargée, mais elle sera aussi source d’humilité. Chaque fois que nous accueillons un nouveau collègue, je repense au jour où l’on m’a personnellement demandé de siéger à la Chambre haute. C’est sans aucun doute un jour que nous chérissons tous et qui est riche en émotions et en fébrilité. Pour la plupart d’entre nous, c’est un jour où nous avons ressenti le poids de la responsabilité qui nous a été confiée.

Sénatrice Petten, j’ai hâte d’apprendre à vous connaître. Je suis impatiente d’entendre vos points de vue uniques lors de nos débats et de nos discussions, notamment vos réflexions inspirées de votre expérience de plus de 35 ans dans l’industrie de la pêche.

J’espère que vous garderez toujours à l’esprit que notre devoir de sénateurs est de protéger les intérêts des Canadiens et, dans votre cas, les intérêts des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador.

Les Canadiens comptent sur nous pour faire entendre leurs voix et pour les représenter au Parlement. Ensemble, dans cette enceinte, nous devons nous efforcer d’offrir aux Canadiens le meilleur avenir possible partout dans notre beau pays. Le Sénat doit donner de l’espoir aux Canadiens. Nous ne devons pas oublier que nous sommes ici pour les servir.

Sénatrice Petten, sachez que le caucus conservateur sera heureux de travailler avec vous. Si jamais vous voulez vous joindre à l’équipe la plus efficace et la plus à son affaire du Sénat, n’hésitez pas à communiquer avec nous. Je souligne que vous êtes déjà bien entourée de plusieurs merveilleux sénateurs de Terre-Neuve-et-Labrador.

Au nom de l’opposition, ainsi que du caucus conservateur, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue alors que vous entamez ce nouveau chapitre avec nous au Sénat du Canada. Bienvenue à notre famille du Sénat.

Des voix : Bravo!

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs, c’est avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue à la nouvelle membre du Sénat du Canada, la sénatrice Iris G. Petten, ainsi qu’à ses proches qui sont avec nous, à la tribune.

Sa nomination au Sénat témoigne de sa carrière distinguée en tant que femme d’affaires dans une industrie vitale pour Terre‑Neuve‑et-Labrador et pour l’ensemble du Canada, ainsi que de l’engagement dont elle fait preuve envers sa province et notre pays.

Honorable sénatrice Petten, en tant que membre du Sénat du Canada, vous aurez l’occasion de mettre à profit votre expertise et vos connaissances pour contribuer aux importants travaux de la Chambre haute du Parlement du Canada.

Votre expérience dans l’industrie de la pêche, de même que vos années de service au sein du conseil d’administration de l’Université Memorial s’avéreront sans doute fort précieuses dans nos démarches relatives aux enjeux pressants pour nos régions, nos concitoyens et notre pays.

Je cite vos paroles :

En grandissant, ce qui nous définit n’est pas notre apparence ni notre éducation, mais plutôt notre éthique de travail.

Votre éthique professionnelle, votre sens des responsabilités et votre dévouement pour représenter l’intérêt des gens de votre province et de tous les Canadiens seront certainement un atout pour le Sénat dans ses délibérations.

Depuis près d’une décennie, vous consacrez votre temps et votre énergie à l’Université Memorial, où vous avez fait vos études. Votre dévouement inébranlable découle de votre conviction profonde de l’importance de l’éducation, de la résilience de votre province et de la création de débouchés pour les jeunes générations.

Aînée d’une fratrie de six enfants — trois garçons et trois filles —, vous avez toujours cherché à aider les autres, que ce soit au sein de votre foyer ou, plus tard, dans le cadre de votre carrière. Bien que vous soyez loin de chez vous, ici à Ottawa, vous avez maintenant rejoint une grande famille : celle du Sénat du Canada.

Dans la conclusion de votre discours en tant que présidente du conseil d’administration de l’Université Memorial, vous avez cité mère Teresa en déclarant : « Je peux faire des choses que vous ne pouvez pas faire, vous pouvez faire des choses que je ne peux pas faire; ensemble, nous pouvons faire de grandes choses. »

Je suis sûre que cette phrase résonne encore en vous aujourd’hui. Je suis pleine d’espoir qu’ensemble, nous ferons de grandes choses.

Au nom de tous les membres du Groupe des sénateurs indépendants, je vous adresse nos plus sincères félicitations pour votre nomination. Nous nous réjouissons de travailler avec vous dans l’intérêt de tous les Canadiens. Je vous souhaite la bienvenue.

Des voix : Bravo!

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, au nom de mes collègues du Groupe des sénateurs canadiens, je souhaite la bienvenue au Sénat à la sénatrice Iris Petten. Entrepreneure et dirigeante accomplie, la sénatrice Petten habite à Port de Grave, à Terre-Neuve-et-Labrador, et elle cumule plus de 35 ans d’expérience dans le secteur de la pêche.

L’annonce de votre nomination nous a tous réjouis, mais elle a particulièrement plu au sénateur Black, qui se sentait bien seul, car jusqu’ici, il était le seul spécialiste de la production alimentaire de notre assemblée. Le Sénat a désespérément besoin de voix fortes qui sont issues de l’industrie alimentaire et qui savent d’où vient la nourriture que nous consommons. Votre expertise nous sera plus qu’utile pour l’étude des lois et des politiques publiques, je n’en doute pas un seul instant.

Vous le savez probablement déjà, sénatrice, mais vous êtes la troisième personne à porter le patronyme Petten à siéger au Sénat. Le premier Petten a été nommé en 1949, lorsque Terre-Neuve-et-Labrador a fait son entrée dans la Confédération, et fait intéressant, son fils a été sénateur jusqu’en 1998.

Je ne sais pas si ce sont des parents à vous, mais nous aimerions certainement le savoir, et je suis impatient d’en apprendre plus. Pendant près de la moitié du XXe siècle, un Petten a occupé un siège sénatorial. Quant à la sénatrice Petten du XXIe siècle, la nôtre, il me semble que le Sénat est plus complet depuis qu’elle y est.

Soyez la bienvenue au Sénat, sénatrice Petten. Mes collègues et moi sommes impatients de collaborer avec vous.

Des voix : Bravo!

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je suis ravie d’intervenir aujourd’hui au nom du Groupe progressiste du Sénat et de joindre ma voix à celle d’autres leaders pour accueillir une nouvelle collègue.

Lors de son passage au Sénat à l’occasion de la période des questions, le ministre LeBlanc a déclaré que nous compterions bientôt parmi nous davantage de Canadiens de l’Atlantique. J’espère donc que cette nomination marquera le début d’une nouvelle ère pour la région de l’Atlantique.

Sénatrice Petten, comme nous l’avons appris, votre parcours professionnel est pour le moins impressionnant. Vous vous êtes dévouée au travail, à la collectivité, à la famille et à l’entrepreneuriat, et ce dévouement vous a bien servie. Vous avez prouvé que la détermination est un ingrédient clé du succès et vous avez relevé des défis. Lorsque vous avez reçu un doctorat honorifique en droit de l’Université Memorial de Terre-Neuve, vous avez mentionné aux diplômés comment vos mentors vous avaient fait sortir de votre zone de confort. Vous avez déclaré :

Chaque fois que mes mentors m’ont poussée pour que j’apprenne davantage et que je sois à la hauteur de la tâche à accomplir, j’ai grandi sur le plan personnel. C’est dans les moments où je suis allée au-delà de ce que je savais et que je suis sortie de ma zone de confort que j’ai tiré les meilleures leçons.

Sénatrice Petten, s’il peut parfois être difficile à suivre, votre conseil n’en est pas moins vraiment judicieux.

(1420)

Grâce à votre nomination, vous vous retrouvez, une fois de plus, dans une nouvelle position. Je pense parler au nom de tous les sénateurs quand je dis que nous sommes impatients de voir comment vous relèverez ce défi. Compte tenu de vos antécédents, je sais que nous pouvons nous attendre à de grandes réalisations.

Bien que vous ne soyez pas la première du nom de Petten à représenter Terre-Neuve-et-Labrador au Sénat, je crois que vous serez la première sénatrice à représenter Port de Grave, et je suis certaine que vous représenterez avec dévouement les intérêts des citoyens de votre collectivité.

Sénatrice Petten, au nom du Groupe progressiste du Sénat, j’ai le plaisir de vous souhaiter officiellement la bienvenue au Sénat du Canada.

En passant, je viens d’apprendre que la sénatrice Audette est née au Labrador. Je viens de l’apprendre cet après-midi, deux minutes avant de prendre la parole.

Sénatrice Petten, nous avons hâte de travailler avec vous. Je vous souhaite la bienvenue.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du conjoint de la sénatrice Petten, le juge Peter A. O’Flaherty, de son fils, Grayson M. Ewing, de la conjointe de ce dernier, Tara Tobin, de son frère, Ross T. Petten, de la femme de ce dernier, Christina Petten et de sa cousine, Renell Hart.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La crise en Afghanistan

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’aimerais parler aujourd’hui de la souffrance ininterrompue des Afghans depuis que les talibans ont repris le pouvoir. Je vous ai souvent parlé de la manière dont les femmes ont été effacées de la société afghane, de la famine qui sévit et qui cause la mort de nombreuses personnes innocentes et du mépris total des talibans pour les droits de la personne les plus élémentaires.

Je vous ai aussi raconté mes souvenirs d’Afghanistan, un pays magnifique où régnaient la musique et les arts et où fusaient les rires. Kaboul a déjà été ma destination de vacances préférée.

Dernièrement, alors que nous pensions que la situation ne pouvait plus se dégrader, nous avons entendu dire que des bébés meurent un peu partout au pays parce qu’ils souffrent de maladies qu’il est possible de prévenir. Selon l’UNICEF, au moins 167 bébés afghans perdent la vie chaque jour à cause de maladies qui peuvent être traitées si on utilise le bon médicament et qui devraient l’être. Les hôpitaux afghans sont débordés. Ils manquent de personnel, les chambres sont remplies d’enfants malades — souvent à deux dans un même lit — et ne peuvent compter que sur deux infirmières pour prendre soin de 60 enfants.

Chers collègues, nous assistons à l’effondrement complet du réseau afghan de la santé, qui dépendait jusqu’ici des fonds étrangers et dont le financement décline depuis que les talibans ont interdit aux femmes de travailler dans les ONG. Les travailleurs de la santé doivent utiliser ce qu’ils ont sous la main, c’est-à-dire bien peu. Les infirmières font souvent des quarts de 24 heures et sont incapables de se rendre au chevet des bébés qui sont dans une situation critique. Certains enfants meurent par simple manque d’oxygène, car les hôpitaux n’ont du courant que la nuit et n’ont pas ce qu’il faut pour produire de l’oxygène sur place.

Certains ne peuvent pas se rendre à l’hôpital à temps en raison de l’état des routes. D’autres ne peuvent pas faire le trajet. Dans certains cas, les parents préfèrent ramener leurs enfants mourants à la maison parce que l’hôpital ne peut pas les aider. Ils préfèrent mourir entourés de leurs proches.

Les familles ont du mal à se nourrir et un père, regardant sa fille lutter pour respirer, a affirmé qu’il n’avait même pas les moyens d’acheter une tasse de thé. S’il ne manquait pas d’argent, son enfant n’aurait pas à souffrir de la sorte.

Honorables sénateurs, les hôpitaux afghans ne sont plus des lieux où l’on soigne et guérit des gens, mais des lieux où ils vont mourir. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Terry French et Darin King, anciens députés de l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils sont les invités des honorables sénateurs Wells et Ravalia.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée de l’ourson témoin

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer votre attention sur la Journée de l’ourson témoin, un événement national créé par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, qui demande aux personnes de tout âge et de toute origine d’appuyer la mise en œuvre complète du principe de Jordan, soit l’exigence juridique qui vise à assurer que les enfants des Premières Nations obtiennent les produits, les services et le soutien dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin.

Le principe est nommé en souvenir de Jordan River Anderson, un garçon de la nation crie de Norway House qui avait des besoins médicaux complexes à sa naissance. Il est mort à l’âge de 5 ans après être resté à l’hôpital pendant des années sans raison valable, tandis que les gouvernements provincial et fédéral se tiraillaient pour savoir qui paierait ses soins à domicile, ce qui n’était un problème que parce qu’il était membre des Premières Nations.

La Journée de l’ourson témoin, qui est célébrée chaque année le 10 mai, marque une date importante dans l’histoire du principe de Jordan. En 2016, neuf ans après le dépôt d’une plainte, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que le sous-financement chronique et la structure des services à l’enfant et à la famille dans les réserves constituaient de la discrimination systémique et il a ordonné au gouvernement fédéral de mettre pleinement en œuvre le principe de Jordan au plus tard le 10 mai.

Il a fallu beaucoup plus de temps pour que des progrès soient réalisés. En avril dernier, un accord de règlement final révisé a été conclu afin d’indemniser les enfants et les familles des Premières Nations qui ont subi des préjudices, notamment en raison de la séparation inutile des familles et du refus d’accorder des soins essentiels au bien-être et à la survie. En outre, les négociations se poursuivent sur l’accord de règlement final de la réforme à long terme visant à prévenir toute discrimination future.

Même si rien ne pourra faire disparaître les torts du passé, cette mesure représente une avancée pour laquelle il a fallu se battre longtemps et qui a été rendue possible grâce à Jordan River Anderson et à sa famille, ainsi qu’aux représentants des plaignants, notamment Ashley Dawn Bach, Karen Osachoff, Melissa Walterson, Noah Buffalo-Jackson, Carolyn Buffalo, Richard Jackson, Xavier Moushoom, Jeremy Meawasige, Jonavon Meawasige, la regrettée Maurina Beadle, Zacheus Trout et ses deux enfants décédés, Sanaye et Jacob, ainsi qu’une coalition de leaders, de militants et d’alliés comme Mme Cindy Blackstock.

Chers collègues, beaucoup de changements sont encore nécessaires pour garantir que les enfants autochtones puissent grandir au sein de leur famille et de leur communauté en étant heureux, en santé, fiers et en sécurité. Nous pouvons agir; c’est notre devoir.

Demain, en collaboration avec la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, la sénatrice Audette, le sénateur Klyne et moi-même soulignerons la Journée de l’ourson témoin. Nous espérons que vous vous joindrez à nous en souvenir des victimes et des survivants de la conduite discriminatoire du Canada. Merci. Wela’lin.

[Français]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mark Farrant, ancien juré et président de la Commission canadienne des jurés. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Moncion.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’appréciation de la fonction de juré

L’honorable Lucie Moncion : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui afin de souligner, pour la deuxième année consécutive, la Semaine d’appréciation de la fonction de juré au Canada, qui a lieu cette année du 7 au 13 mai. C’est l’occasion de reconnaître et de commémorer le vécu de milliers de citoyens canadiens.

Je remercie sincèrement les individus ayant exercé ces fonctions. À travers cette allocution, je souhaite leur rendre honneur, et leur témoigner ma grande gratitude.

Assumer les fonctions de juré exige un investissement important en temps et en efforts pendant la période de convocation. L’expérience peut également offrir une appréciation positive du système judiciaire et permettre d’acquérir une compréhension plus approfondie de son fonctionnement.

Chaque année, des milliers de Canadiens et de Canadiennes sont appelés à exercer ce devoir civique, qui repose sur la collaboration de plusieurs acteurs. Dans l’exercice de leurs fonctions, les jurés ont besoin de l’appui des employeurs, des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral, du système judiciaire et des communautés. L’appui de chacun est important et doit être valorisé.

Au-delà de la contribution citoyenne d’un juré, il est primordial de se rappeler l’humanité derrière la fonction. Certains jurés souffrent en silence de séquelles psychologiques qui peuvent se manifester pendant le procès, mais aussi bien après la fin d’un procès. Nous devons nous intéresser à ces questions afin de tenter de répondre à leurs besoins.

Nous devons aussi veiller à ce que l’administration de la justice soit juste et équitable et cela passe, entre autres, par la convocation de jurys diversifiés, inclusifs et réellement représentatifs de la population canadienne.

[Traduction]

Servir à titre de juré représente un élément vital de la primauté du droit et est une composante essentielle du système de justice et de la démocratie du Canada. Il s’agit d’un élément central de l’administration de la justice et du système judiciaire, et, dans certains cas, cela est nécessaire pour permettre aux Canadiens d’exercer leurs droits constitutionnels. En effet, toute personne accusée d’une infraction criminelle passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus a le droit d’être jugée par un jury.

(1430)

Je tiens à exprimer ma gratitude et mon admiration à Mark Farrant, ancien juré et président de la Commission canadienne des jurés, pour les efforts qu’il a déployés afin de sensibiliser les gouvernements, les tribunaux et le public canadien à l’importance de soutenir ce devoir citoyen.

J’ai eu l’occasion de raconter mon expérience personnelle en tant que jurée à plusieurs reprises dans cette enceinte. J’espère avoir fait comprendre à mes collègues et au public canadien l’importance de ce devoir citoyen, et beaucoup d’autres personnes qui ont été jurés en savent quelque chose. À l’avenir, j’espère que beaucoup participeront régulièrement à cette réunion annuelle consacrée à la sensibilisation aux enjeux touchant les jurés et les anciens jurés. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du brigadier-général Roger Scott, de la colonelle (à la retraite) Gisele Fontaine, de la lieutenante-colonelle Carolyn Blanchard et du capitaine de corvette Kristi Velthuizen. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Patterson (Ontario).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Semaine nationale des soins infirmiers

L’honorable Rebecca Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en l’honneur de la Semaine nationale des soins infirmiers, qui coïncide avec l’anniversaire de naissance de Florence Nightingale, la fondatrice des soins infirmiers modernes, qui tombe le 12 mai. Comme vous êtes nombreux à le savoir, Mme Nightingale, aussi connue sous le nom de « la dame à la lampe », soignait les soldats britanniques blessés pendant la guerre de Crimée. Elle a transformé la profession d’infirmière.

Au Canada, le premier programme officiel de soins infirmiers a débuté en 1874 au General and Marine Hospital de St. Catherines, en Ontario. Il s’agit de la même école de soins infirmiers où j’ai obtenu mon diplôme — plus de 100 ans plus tard, si vous prenez la peine de compter.

Cette semaine est l’occasion de souligner les contributions exceptionnelles que le personnel infirmier a apportées et continue d’apporter à leur collectivité et aux Canadiens. Peu importe l’endroit et peu importe le patient, les infirmières et les infirmiers ont un point en commun : ils sont déterminés à changer les choses pour le mieux non seulement pour le patient et sa famille, mais aussi pour leur collectivité et pour le Canada.

Nous rendons hommage aux infirmières et aux infirmiers qui prodiguent des soins à domicile aux Canadiens vulnérables et qui les accompagnent dans les diverses étapes de leur vie. Autrement dit, les infirmières et les infirmiers sont des membres essentiels de l’équipe de soins de santé. Ils ont leur propre ensemble de connaissances et de pratique et ils contribuent à rendre l’Ontario, le Canada et le monde un meilleur endroit où vivre.

Par ailleurs, je m’en voudrais de ne pas souligner que le personnel infirmier militaire prodigue des soins en temps de conflit comme en temps de paix. Vous pouvez d’ailleurs voir certains d’entre eux, en service actif ou à la retraite, à la tribune aujourd’hui. Ce sont mes invités et ils ont tous servi en Afghanistan.

Depuis 1885, des milliers d’infirmières canadiennes prodiguent des soins avec compassion aux malades et aux blessés dans des zones de conflit partout dans le monde, et maintenant, même au Canada. En 1904, les infirmières se sont jointes au Corps de santé de l’Armée canadienne en tant qu’infirmières militaires, en France, pendant la Première Guerre mondiale, où elles ont été les premières femmes de l’Empire britannique à être désignées comme officières, ainsi que les premières Canadiennes à voter aux élections fédérales en raison de leur statut.

Pendant la pandémie, les officiers en soins infirmiers des Forces armées canadiennes ont aidé les travailleurs de la santé à fournir des soins aux Canadiens dans les résidences pour personnes âgées, les hôpitaux et les communautés autochtones. Ils ont joué un rôle de premier plan dans la formulation d’observations et de recommandations lors des enquêtes provinciales et fédérales sur les conditions épouvantables qui régnaient dans les résidences pour personnes âgées. Je ne les remercierai jamais assez du courage dont ils ont fait preuve en soutenant les travailleurs de la santé et les Canadiens les plus vulnérables.

Ces exemples nous ramènent à Florence Nightingale. Elle ne se contentait pas de sauver la vie des personnes dont elle s’occupait. Elle avait compris que les soins infirmiers constituaient une véritable force au potentiel inexploité. Comme l’a dit Rawsi Williams, ancienne combattante états-unienne et infirmière autorisée :

Être infirmière, c’est faire ce que personne d’autre ne veut faire, comme personne d’autre ne peut le faire et en dépit de tous les obstacles.

Tout au long de la semaine, célébrons les infirmières. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la famille Sidiqi, de Mahmudah Sahar, d’Yadullah Yasa et de Robert et Mary Fowler. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Boehm.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les nouveaux arrivants au Canada

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer l’attention sur les nouveaux arrivants au Canada dont la présence vient d’être soulignée à la tribune. Comme tous les réfugiés qui viennent s’installer ici, le parcours qui les a menés de l’Afghanistan, leur pays natal, au Canada a été rempli d’épreuves, de souffrances et de dangers. La sénatrice Ataullahjan vient de faire une déclaration bouleversante sur le sujet il y a quelques minutes.

Je tiens à reconnaître le soutien offert par le diocèse anglican d’Ottawa, qui participe depuis longtemps au Programme de parrainage privé de réfugiés d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ainsi que le rôle déterminant joué par Robert et Mary Fowler. Éminents Canadiens, M. et Mme Fowler ont une excellente réputation et une vaste expérience internationale en ce qui concerne la facilitation du traitement des demandes par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ainsi que du transport et de l’établissement du groupe au Canada.

Honorables sénateurs, M. Amin Sidiqi s’est installé au Canada en juillet 2018, et sa famille — qui est ici aujourd’hui — l’a rejoint après avoir quitté l’Afghanistan en prenant le dernier vol canadien à partir de Kaboul en août 2021. Détenteur d’une maîtrise ès arts de l’Université de New York, il étudie en ce moment le droit à l’Université d’Ottawa, en plus de travailler à temps partiel avec l’équipe de recherche du Carrefour des réfugiés de l’université et d’être interprète judiciaire. Son épouse, Nafisa, et ses fils, Mahdi, Abbas et Hussain, poursuivent leur intégration et apprennent les deux langues officielles. À l’école, les garçons aiment les dissertations et les débats. Ils pratiquent aussi le soccer et, bien sûr, le hockey, comme tout un chacun au pays.

M. Yadullah Yasa est arrivé au Canada de l’Indonésie. Il souhaite poursuivre ses études universitaires au Canada pour travailler comme cinéaste. Le cinéma était sa passion à l’université, avant qu’il ne soit contraint de quitter l’Afghanistan.

Mme Mahmudah Sahar a fui son village en Afghanistan et elle est arrivée au Canada en novembre dernier. Elle fréquente l’école secondaire pour adultes d’Ottawa. Je crois savoir qu’il a fallu faire preuve de persuasion pour qu’elle vienne ici aujourd’hui, parce que cela lui fait manquer des cours. Mme Sahar travaille à temps partiel dans un magasin et elle espère devenir infirmière.

Honorables sénateurs, en regardant autour de moi, j’ai à l’esprit que plusieurs de nos collègues sont venus de loin jusqu’au Canada et que bon nombre d’entre eux, comme moi, sont des Canadiens de première génération, c’est-à-dire des enfants d’immigrants ou, dans mon cas, de réfugiés. Comme nous le constatons depuis 1867, notre pays s’est enrichi de nouveaux arrivants de tous horizons qui contribuent à renforcer notre société dans toute sa diversité. La société civile et les organisations communautaires contribuent aussi à enrichir la société canadienne. J’ai parlé du diocèse anglican d’Ottawa, mais il y a d’autres groupes confessionnels et communautaires qui sont particulièrement actifs en ce qui concerne l’établissement de réfugiés d’Afghanistan dans cette ville. Bien entendu, des milliers de Canadiens, comme Robert et Mary Fowler, ont donné sans compter leur temps et leur énergie pour aider de nouveaux arrivants à s’installer ici et à trouver leur voie.

Puisse-t-il continuer à en être ainsi dans notre grand pays. Merci.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mike McKenzie, chef de la communauté innue Uashat mak Mani-Utenam et de Jean-Claude Therrien Pinette, directeur de cabinet du chef McKenzie. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Audette.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’Assemblée mondiale de la santé

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, à la fin du mois, du 21 au 30 mai, l’Assemblée mondiale de la santé se réunira pour la 76e fois, et elle le fera encore une fois sans la participation de Taïwan.

Encore une fois, j’exhorte la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, ainsi que son gouvernement à demander à ce que Taïwan soit incluse dans ce forum international.

Taïwan a maintes fois démontré sa volonté de participer aux efforts humanitaires à l’échelle mondiale. Quelques jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Taïwan a envoyé 27 tonnes de fournitures médicales en Pologne pour les réfugiés ukrainiens, et encore 650 tonnes de fournitures peu de temps après. Des professionnels de la santé de Taïwan ont soutenu des communautés désavantagées partout dans le monde afin de combattre les inégalités en santé. Depuis les années 1950, Taïwan fournit de l’aide médicale et des services techniques à divers pays africains afin de favoriser la santé maternelle et infantile. En 2022, les hôpitaux participants ont vu le nombre de décès chez les nouveau-nés chuter de 234 à 189.

Taïwan continue de démontrer son engagement à favoriser la santé publique à l’échelle mondiale. Dans les 20 dernières années, le centre international de formation en santé de Taïwan a offert de la formation continue à plus de 2 000 professionnels de la santé de 77 pays. Pendant la pire crise sanitaire mondiale de notre vie, Taïwan s’est tenue prête à fournir de l’aide n’importe où et en tout temps. Au début de la pandémie de COVID-19, Taïwan a été l’un des premiers pays à envoyer de l’équipement de protection individuelle au Canada, qui en avait grand besoin pour sauver des vies. Il ne faudrait pas l’oublier.

(1440)

Hélas, Taïwan demeure exclue de l’Assemblée mondiale de la santé et des autres tribunes et mécanismes de l’Organisation mondiale de la santé. Cette exclusion se fait au détriment de la communauté internationale, qui ne peut alors pas profiter de l’expérience taïwanaise dans la lutte contre la COVID-19.

Elle se fait aussi au détriment des 23,5 millions de Taïwanais, dont le bien-être doit aussi être pris en considération. En fait, en tant que démocratie aux vues similaires, le Canada a toutes les raisons d’appuyer l’inclusion de Taïwan aux prochaines réunions de l’Assemblée mondiale de la santé, car elle peut être une partenaire de choix dans l’amélioration de la santé du monde.

Taïwan a montré qu’elle est une membre indispensable de la communauté internationale et qu’elle apporte énormément aux efforts absolument essentiels que mène la planète contre la COVID-19.

Le Canada a l’occasion de se distinguer moralement sur la scène mondiale. Nous devons combler sans tarder les lacunes que l’exclusion de Taïwan de nombreuses tribunes internationales, dont la 76e réunion de l’Assemblée mondiale de la santé, a provoquées dans le système international et qui mettent aujourd’hui en péril la santé, la sécurité, la prospérité et l’avenir de la planète.

Je vous remercie, chers collègues.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Nora et Marie-Claire Harmsworth. Elles sont les invitées de l’honorable sénateur Woo.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces
La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Présentation du onzième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Percy Mockler, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, présente le rapport suivant :

Le mardi 9 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l’honneur de présenter son

ONZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et la Loi de l’impôt sur le revenu, a, conformément à l’ordre de renvoi du 3 mai 2023, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,

PERCY MOCKLER

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

L’étude sur les nouvelles questions liées à son mandat

Présentation du quatrième rapport du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles

L’honorable Rosa Galvez, présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 9 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a l’honneur de présenter son

QUATRIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé par le Sénat le jeudi 24 février 2022 à étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité, présente maintenant son rapport provisoire intitulé L’HYDROGÈNE : une option viable pour un Canada carboneutre en 2050 ?

Respectueusement soumis,

La présidente,

ROSA GALVEZ

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 1503.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion de la sénatrice Galvez, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Le Sénat

Préavis de motion concernant la séance de jeudi

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’article 3-1(1) du Règlement, lorsque le Sénat siégera le jeudi 11 mai 2023, il siège à 13 h 30.

[Traduction]

Projet de loi contre la rétribution du silence

Première lecture

L’honorable Marilou McPhedran dépose le projet de loi S-261, Loi concernant les accords de non-divulgation.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice McPhedran, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Ratna Omidvar dépose le projet de loi S-262, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (Serment de citoyenneté).

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

Projet de loi sur la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes

Première lecture

L’honorable Salma Ataullahjan dépose le projet de loi S-263, Loi concernant la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

L’ingérence étrangère

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Évidemment, ma question s’adresse encore une fois au leader du gouvernement libéral au Sénat.

La semaine dernière, le premier ministre a affirmé qu’il y a deux ans, le SCRS n’avait informé personne du fait qu’un agent de Pékin en poste au consulat chinois à Toronto avait ciblé le député Michael Chong et des membres de la famille de ce dernier qui se trouvent à Hong Kong.

Monsieur le leader, vous avez dit qu’il fallait considérer la déclaration du premier ministre comme véridique; or, ses propos étaient faux. Il y a un qualificatif qui s’applique aux gens qui font de fausses déclarations. La vérité, c’est que le SCRS a fait parvenir son rapport de juillet 2021 à plusieurs ministères fédéraux ainsi qu’au conseiller à la sécurité nationale attaché au Cabinet du premier ministre à l’époque. C’est d’ailleurs ce que l’actuelle conseillère à la sécurité nationale a confirmé à M. Chong. Cela contredit directement ce que le premier ministre a dit aux Canadiens.

(1450)

Le premier ministre ne veut pas donner l’heure juste sur ce qu’il savait à propos de l’ingérence de Pékin, mais quand il ouvre la bouche, ce qu’il dit est faux, monsieur le leader, ce n’est pas la vérité. Comment les Canadiens peuvent-ils croire ce que dit le premier ministre à propos de l’ingérence de Pékin?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le premier ministre, tout comme la ministre des Affaires étrangères, a clairement indiqué qu’il a appris les détails de cette affaire dans l’article du Globe and Mail.

Quand le premier ministre a fait ses déclarations à propos du SCRS auxquelles vous avez fait référence, à ce moment-là, il n’avait pas été informé que l’information avait été envoyée, selon ce qu’on sait maintenant, à la personne qui occupait temporairement le poste de conseiller à la sécurité nationale; il ne s’agissait donc pas du titulaire actuel du poste, mais d’une personne qui avait été nommée pour l’été. Cela a été clairement établi et corrigé rapidement par la suite.

La vérité, c’est que le gouvernement continue d’agir de façon appropriée, prudente et responsable à l’égard des sérieuses menaces et allégations d’ingérence étrangère qui ont été dévoilées par l’entremise de fuites de documents du SCRS au Globe and Mail, et il continuera d’agir dans l’intérêt supérieur des Canadiens.

Le sénateur Plett : Vous avez commencé par dire que le premier ministre était clair. Il a en effet été clair lorsqu’il a dit quelque chose qui n’était pas vrai.

Hier, on a demandé à plusieurs reprises au gouvernement Trudeau combien de parlementaires et leurs familles avaient été visés par l’ingérence de Pékin. Le fait qu’il refuse toujours de répondre à cette question démontre son incompétence pure et simple, monsieur le leader.

Il est également incroyable que le diplomate de la République populaire de Chine qui, selon le Service canadien du renseignement de sécurité, a ciblé un député et sa famille n’ait été expulsé du Canada qu’hier. Le gouvernement Trudeau a été contraint par la honte à prendre cette décision, qui aurait dû être prise il y a deux ans, monsieur le leader.

Dans deux semaines, le rapporteur spécial inventé par le premier ministre est censé faire ses premières recommandations. Je ne vois pas comment quelqu’un qui a été témoin de ce qui s’est passé la semaine dernière pourrait conclure à autre chose que la nécessité de tenir une enquête publique.

Maintenant, bien sûr, nous allons découvrir ce que ce rapporteur spécial va suggérer. Le gouvernement Trudeau a échoué; il a manqué à son devoir de protéger M. Chong et sa famille contre les menaces de Pékin. Combien d’autres parlementaires le gouvernement a-t-il laissés tomber de la même manière? Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas répondre à cette question fondamentale?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. C’est une chose de prendre la parole, comme le font les oppositions, pour exiger des renseignements qui sont classifiés et dont la divulgation publique serait contraire à la loi. L’opposition a évidemment cette prérogative partisane.

Il n’en demeure pas moins que le gouvernement du Canada, le premier ministre et la ministre des Affaires étrangères ont été informés de la situation il y a une semaine. On a procédé de manière appropriée et prudente afin d’évaluer des allégations qui s’appuyaient — je le répète — sur une fuite de documents classifiés qui n’étaient pas nécessairement nuancés. Comme l’a dit la ministre Joly, le gouvernement devait tenir compte des intérêts des Canadiens qui se trouvent en Chine et de ceux qui sont ici, ainsi que des intérêts des agriculteurs et des autres producteurs dont le gagne‑pain dépend de leur accès au marché chinois. Il avait donc la responsabilité d’évaluer, à tout le moins, les conséquences auxquelles le gouvernement s’exposerait en déclarant le diplomate persona non grata, ce qu’il a fait, à juste titre.

Ce processus a pris une semaine. Il a été mené correctement, conformément aux dispositions de la Convention de Vienne et en consultation avec les alliés sur lesquels nous comptons, de manière à ce qu’il n’y ait pas, de nouveau, des événements comme ce qui est arrivé aux deux Michael ni des représailles à l’endroit des agriculteurs et des producteurs du Canada.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, les Canadiens sont choqués d’apprendre que des diplomates chinois présents en sol canadien aient pu prendre pour cible le député Michael Chong et sa famille en guise de représailles pour la motion condamnant le génocide des Ouïghours dont il a saisi la Chambre des communes. Ils sont toutefois sans voix quand ils vous entendent répéter les propos du premier ministre, qui a soutenu la semaine dernière que le SCRS n’avait pas jugé que les menaces contre un député constituaient « une préoccupation suffisamment importante ».

Le SCRS a été mis au courant des menaces contre le député Chong et sa famille dès juillet 2021, à la suite d’une évaluation de sécurité. À l’époque, les citoyens canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig étaient toujours retenus en otage en Chine. Leurs simulacres de procès avaient eu lieu trois mois plus tôt. Avec le recul, il me semble inconcevable que le SCRS et le conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre aient pu juger que les menaces et l’intimidation dont étaient victimes un député et sa famille ne constituaient pas un danger assez grave pour en informer le premier ministre, le ministre de la Sécurité publique et le député lui-même.

Sénateur Gold, si ce que dit le premier ministre est vrai, c’est‑à‑dire que le SCRS n’a pas cru à la gravité des menaces pesant contre un député en exercice, comment se fait-il que personne n’ait perdu son emploi? Serait-ce parce que le premier ministre Trudeau a demandé à ses proches collaborateurs responsables de la sécurité de le traiter comme un simple premier ministre symbolique?

Le sénateur Gold : Je vais continuer à m’efforcer de répondre sérieusement aux questions concernant des sujets sérieux, même si ma créativité est parfois mise à rude épreuve par certains sous‑entendus.

Je suis sur le point de répondre, chers collègues, mais vous me permettrez au moins de commenter l’enflure verbale qui entoure ces questions, par ailleurs importantes, que vous soulevez à vos propres fins.

Bien que le gouvernement n’ait pas été mis au courant jusqu’à ce que le Globe and Mail publie les documents ayant fait l’objet d’une fuite, le premier ministre a été très clair sur le fait qu’il a donné des instructions au SCRS :

Nous avons très clairement indiqué au SCRS et à tous les responsables du renseignement qu’à l’avenir, ils doivent porter à l’attention du gouvernement les préoccupations concernant un député en particulier, surtout lorsque sa famille est visée.

Il a aussi déclaré :

Même si le SCRS estime que le niveau de risque n’est pas suffisant pour qu’il prenne des mesures plus directes, nous devons quand même en être informés au niveau supérieur du gouvernement.

Ce sont les instructions que le gouvernement a transmises au SCRS. Voilà ce à quoi il s’attend dorénavant de la part des services de renseignement.

La sénatrice Batters : Sénateur Gold, le ministre de la Sécurité publique du premier ministre Trudeau, Marco Mendicino, joue volontiers avec les faits. Il a récemment affirmé que la GRC avait éliminé les postes de police du gouvernement de Pékin actifs au Canada, mais un article paru quelques jours plus tard a prouvé que c’était faux.

Dans le contexte du convoi pour la liberté l’an dernier, M. Mendicino a soutenu à plusieurs reprises que la police avait demandé au gouvernement fédéral d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, ce que la police a catégoriquement démenti.

Enfin, après avoir essuyé les critiques de l’opposition sur cette question, le ministre Mendicino a affirmé la semaine dernière qu’il n’était au courant des menaces contre le député Michael Chong que depuis lundi dernier, alors que l’évaluation du SCRS date du mois de juillet 2021.

Que le ministre ait délibérément omis de se tenir informé ou que ses conseillers aient omis de l’informer, dans tous les cas, il s’agit d’un motif de renvoi. La question est de savoir qui sera renvoyé. Si le ministre de la Sécurité publique est si peu au courant de ce qui se passe dans son portefeuille, quand sera-t-il enfin démis de ses fonctions? Si le SCRS était au courant de l’affaire il y a deux ans et ne l’en a informé que la semaine dernière, qui perdra son emploi?

Le sénateur Gold : Sénatrice Batters, chers collègues, mon travail consiste à répondre aux questions, et c’est ce que je vais faire. Il ne consiste pas à essayer d’expliquer aux sénateurs comment les renseignements de sécurité sont transmis par le Service canadien de renseignement de sécurité ou par d’autres agences à divers ordres du gouvernement. De plus, je n’ai pas l’obligation ni l’envie de vous rappeler qu’il est toujours question de renseignements qui ont fait l’objet d’une fuite. En fait, nous n’avons aucune indication sur les nuances contenues, ou non, dans ces renseignements. Quoi qu’il en soit, les renseignements publiés et divulgués qui ont été pris au sérieux par le gouvernement et il leur a immédiatement donné suite.

(1500)

En ce qui concerne le reste de votre question, sénatrice Batters, il n’en demeure pas moins que le gouvernement prend les mesures nécessaires pour protéger les Canadiens contre l’ingérence étrangère. Les mesures qu’il a prises pour expulser le diplomate et le déclarer persona non grata envoient un message clair non seulement à la Chine, mais aussi à d’autres pays qui chercheraient à s’ingérer dans notre processus démocratique.

L’agriculture et l’agroalimentaire

L’utilisation des terres agricoles

L’honorable Robert Black : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, les terres agricoles du Canada sont des ressources précieuses pour les Canadiens et pour le reste du monde, mais elles ne sont pas inépuisables. Même si votre gouvernement ne cesse de dire qu’il accorde toute la priorité à l’agriculture et à la sécurité alimentaire, je ne peux m’empêcher de sourciller devant les accords et les politiques qui continuent d’être mis en œuvre et qui nuisent au potentiel et aux capacités des transformateurs et des producteurs.

Dernièrement, une entreprise étrangère a été autorisée à acheter 1 500 acres de terres agricoles de première qualité dans le Sud de l’Ontario. C’est l’équivalent de 1 134 terrains de football. Cet accord prévoyait l’injection de 700 millions de dollars par Ottawa pour la construction d’une usine, auxquels s’ajoutaient 500 millions de dollars de la part du gouvernement de l’Ontario et 13 milliards de dollars en subventions fédérales pour cette méga-usine. N’oublions pas non plus les 34 millions de dollars en droits de douane que les agriculteurs ont dû payer sur l’engrais qu’ils ont acheté plus tôt cette année, même s’il s’agit d’un produit essentiel pour nourrir les Canadiens et le reste du monde, argent que les agriculteurs n’ont jamais revu.

L’aménagement du territoire est une compétence provinciale, mais tous les ordres de gouvernement ont laissé des terres qui nous nourrissent être avalées par l’étalement urbain, ce qui entraîne la détérioration de sols précieux et la réduction de la capacité de production alimentaire, tandis qu’ils subventionnaient cette œuvre de destruction et imposaient des contraintes financières à ceux qui produisent les aliments qui se retrouvent dans notre assiette.

Voici ma question, sénateur Gold : quand le gouvernement accordera-t-il véritablement la priorité au secteur agricole et agroalimentaire canadien, quand arrêtera-t-il de dépouiller les agriculteurs et de donner de l’argent à des entreprises qui s’emploient activement à nous priver de terres agricoles dont nous avons besoin et à en compromettre la qualité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Permettez-moi d’y répondre sous deux angles.

Premièrement, le gouvernement reconnaît le caractère essentiel d’un secteur agricole et agroalimentaire résilient, y compris la nécessité de préserver et de protéger les terres agricoles. Comme nous le savons, au Canada, l’agriculture est une compétence partagée. Les provinces et les territoires sont les premiers responsables de l’aménagement du territoire et de la gestion des ressources. Dans le cadre de la stratégie de développement durable, Agriculture et Agroalimentaire Canada continuera à collaborer avec l’industrie, les provinces, et les territoires afin d’explorer des possibilités de renforcer la résilience du secteur agricole et agroalimentaire.

Cher collègue, si je peux me permettre de préciser votre question, je crois comprendre que vous faites référence au récent investissement de Volkswagen dans notre économie et au soutien que le gouvernement a apporté à ce projet.

Le gouvernement doit tenir compte d’un grand nombre de facteurs pour évaluer ce type d’investissements. Dans l’ensemble, après réflexion, le gouvernement est très fier que Volkswagen ait choisi de construire sa toute première usine nord-américaine de fabrication de batteries au Canada. Cet investissement historique de 7 milliards de dollars par Volkswagen représente un vote de confiance majeur dans nos travailleurs et dans notre secteur de fabrication de batteries. Cet accord démontre que notre pays est un fournisseur écologique de choix.

Comme vous y avez fait allusion dans votre question, l’ampleur de ce site permettra de créer des milliers d’emplois directs et indirects et de donner un nouveau souffle au secteur automobile à St. Thomas.

Le sénateur Black : Pour ma gouverne et celle de nos collègues, l’agriculture est-elle une priorité pour le gouvernement, oui ou non?

Le sénateur Gold : La réponse est oui. C’est une priorité, au même titre que l’emploi, le soutien aux travailleurs canadiens et la transition vers une économie verte. Tout gouvernement a des responsabilités à l’égard de tous les Canadiens, de toutes les régions et de tous les secteurs. L’art de gouverner consiste à faire des choix.

Le gouvernement du Canada fait des choix et jouit de la confiance de la Chambre des communes. Il nous appartient d’évaluer les choix qu’il fait lorsqu’ils nous sont présentés sous la forme d’un projet de loi. C’est le rôle qui nous incombe.

L’environnement et le changement climatique

Projet de loi de Jane Goodall

L’honorable Marty Klyne : Sénateur Gold, le projet de loi S-241, loi de Jane Goodall, propose l’adoption des mesures de protection juridique les plus sévères de la planète concernant les animaux sauvages en captivité. Ces mesures comprennent l’interdiction de posséder de grands félins sans permis et l’élimination progressive de la détention d’éléphants au Canada. Le projet de loi prévoit également des mesures de soutien à la lutte contre le trafic d’espèces sauvage, notamment l’ivoire d’éléphant et les cornes de rhinocéros.

En outre, avec 15 discours et plus de quatre heures de débats sur 13 mois, le projet de loi S-241 est le projet de loi qui a le plus été débattu à l’étape de la deuxième lecture au Sénat au cours de la 44e législature, et il reste encore le discours d’un porte-parole.

Je souligne que le projet de loi S-241 répond à deux promesses électorales du gouvernement mentionnées dans la lettre de mandat du ministre Guilbeault, soit protéger les animaux en captivité et contrer le commerce illégal des espèces sauvages, notamment le commerce de l’ivoire d’éléphant et de la corne de rhinocéros.

Mme Goodall viendra au Canada pendant le mois de mai; pouvez-vous confirmer que le gouvernement souhaite que le projet de loi S-241 soit renvoyé au comité le plus rapidement possible? Sinon, est-ce que le gouvernement entend présenter sa propre version de la loi de Jane Goodall pour sauver cette mesure législative?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Afin d’interrompre le recul de plus en plus marqué de la biodiversité partout dans le monde, il est absolument essentiel d’adopter des lois pour améliorer la protection des animaux. J’ai appris que le ministre est impatient d’entendre les débats sur ce projet de loi et la manière dont il vient rejoindre les engagements énoncés dans le mandat du gouvernement concernant la protection des animaux au Canada et à l’étranger.

[Français]

Le Cabinet du premier ministre

Les taux de criminalité et le coût de la vie

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.

Monsieur le leader, je consultais les médias en fin de semaine et je voyais des titres, comme sur le site de Radio-Canada, « Pénurie de magistrats : “La situation actuelle est intenable”, dénonce le juge Wagner »; il s’agit du juge en chef de la Cour suprême du Canada.

[Traduction]

J’ai lu dans une manchette du Toronto Star : « Une banque prévient que le défaut de paiement des hypothèques pourrait augmenter de plus de 30 % ». Dans le National Post, j’ai pu lire : « Échec dans la lutte contre la drogue : “l’approvisionnement plus sûr” du gouvernement libéral alimente une nouvelle crise des opioïdes ».

[Français]

Dans La Presse je lisais « Un début d’année marqué par une hausse de la criminalité »; cela se passe à Montréal.

Pourtant, pendant ce temps au congrès du Parti libéral, ici à Ottawa, le premier ministre a invité Hillary Clinton et Jean Chrétien à participer pour se faire dire, et leur faire dire à ses membres que tout va très bien, madame la marquise, qu’il n’y a pas de problème au Canada, qu’on est un pays exemplaire et qu’on peut rouler nos manches et s’en aller à Londres pour faire la fête.

Monsieur le leader, comment le gouvernement peut-il être aussi déconnecté de la réalité et ne pas être conscient de l’ensemble des désastres qui sont en train de se produire, et ce, particulièrement ces dernières années, au Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, monsieur le sénateur.

Avec respect, le gouvernement n’est pas déconnecté, au contraire, le programme du gouvernement, que je représente ici dans cette enceinte, met l’accent sur l’assistance aux Canadiens et aux Canadiennes et mise sur une transition vers un avenir énergétique plus propre et durable.

Bref, le gouvernement est toujours conscient qu’il y a des problèmes, il travaille intimement avec ses homologues provinciaux et territoriaux pour ce qui est de la question de la montée de la criminalité dans les rues à Montréal, comme ailleurs. Il travaille fort sur tous les dossiers.

Cela ne ressemble pas à ce que vous avez décrit. C’est le point de vue du gouvernement et ce n’est pas un exemple de déconnexion. Le gouvernement continue à travailler fort pour le bien-être des Canadiens et des Canadiennes.

Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, la semaine dernière, les médias de Toronto montraient une file d’attente de plusieurs centaines de personnes qui attendaient pour entrer dans les banques alimentaires.

Après la réponse que vous venez de nous donner, que dites-vous aux centaines de citoyens qui étaient dans la file pour aller quêter dans les banques alimentaires pour se nourrir?

Le sénateur Gold : Les défis auxquels font face les Canadiens et Canadiennes, surtout face au coût de l’épicerie et de l’inflation dans plusieurs secteurs, demeurent à un niveau trop élevé, même s’ils baissent de mois en mois.

C’est préoccupant, et c’est pourquoi le gouvernement a fait avancer le projet de loi C-46 dont on débattra en troisième lecture demain, et ce, malgré une erreur de traduction, afin d’aider 11 millions des Canadiens les plus vulnérables et marginalisés, qui ont besoin de ce coup de main du gouvernement dans un cadre budgétaire responsable.

(1510)

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’immigration au Québec

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le Journal de Montréal vient de publier tout un dossier qui présente les objectifs du gouvernement fédéral en matière d’immigration comme un piège pour le Québec et une menace existentielle pour la survie du français en Amérique.

Je rejette personnellement cette perspective qui alimente la xénophobie et la peur de l’immigration au Québec. Par contre, je ne crois pas que le gouvernement fédéral puisse se contenter d’ignorer ces scénarios alarmistes. Ottawa a la responsabilité de proposer un contre-discours et d’expliquer ses objectifs pour rassurer la population. Sénateur Gold, qu’est-ce que le gouvernement fédéral propose de faire pour expliquer ses politiques, démontrer les avantages de l’immigration et rassurer la population?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Dans un premier temps, il faut souligner que le Québec établit ses propres cibles d’immigration et a le pouvoir exclusif de sélectionner la majorité de ses immigrants, et grâce à l’accord entre le Canada et le Québec, le gouvernement offre des compensations financières au Québec afin d’assurer la francisation des nouveaux arrivants. À cet égard, le gouvernement du Canada respecte toujours les compétences du Québec en matière d’immigration.

Pour le gouvernement fédéral, assurer la vitalité des communautés francophones demeure une priorité essentielle. Le gouvernement est fier d’annoncer qu’il a atteint sa cible de 4,4 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec. En 2022, le Canada a admis plus de 16 371 immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec. Il s’agit d’une augmentation de près de 450 % depuis 2015, et le plus grand nombre d’immigrants francophones admis au Canada à l’extérieur du Québec depuis que les données ont commencé à être recensées, en 2006.

Le gouvernement croit fermement qu’il peut accroître l’économie tout en protégeant la culture et la langue française.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il existe tout de même des craintes dans la population et certains sont heureux de les relayer et de les exploiter. Je ne crois pas que l’on puisse chercher à les faire disparaître.

C’était le but de ma question : le gouvernement fédéral envisage‑t-il des actions fortes pour contrer ou corriger, de manière positive, les scénarios alarmistes au sujet de l’immigration? Malheureusement, ce sont les immigrants eux-mêmes qui souffrent des préjugés.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Comme l’a récemment déclaré le premier ministre, et je cite : « La construction d’un monde sans racisme exige des efforts délibérés et continus pour changer les perceptions ».

Le gouvernement s’est engagé à cet égard à construire un pays plus inclusif où chacun a des chances égales de réussir. Grâce au soutien du Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, le gouvernement continue de prendre des mesures afin de lutter contre la discrimination raciale et de s’attaquer à ses effets sur les personnes et les communautés dans tout le pays, y compris dans le système de soins de santé.

Le gouvernement a mis en place des initiatives telles que Promouvoir l’équité en santé : Fonds pour la santé mentale des communautés noires, qui soutient des projets communautaires visant à promouvoir la santé mentale dans les communautés noires, le Programme de lutte contre le racisme et la discrimination dans les systèmes de santé du Canada, qui finance des projets visant à lutter contre le racisme systémique dans nos systèmes de santé, et finalement, le Fonds d’équité en santé autochtone qui témoigne de l’engagement du Canada à mettre en œuvre le principe de Joyce, consistant à étayer la législation sur la santé autochtone, à remédier aux inégalités systémiques auxquelles les peuples autochtones sont confrontés et à leur donner accès à des services de santé de qualité et sûrs sur le plan culturel, à l’abri du racisme et de la discrimination.

[Traduction]

La sécurité publique

L’ingérence étrangère

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, en décembre 2021, le premier ministre Trudeau a nommé le député libéral Mark Gerretsen au poste de secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes (Sénat). Selon la Bibliothèque du Parlement, M. Gerretsen est le seul secrétaire parlementaire de l’histoire du Canada à porter ce titre. Je ne sais pas exactement ce que fait ce secrétaire parlementaire pour vous aider avec votre travail; je ne pense pas qu’il vous aide à préparer les réponses à nos questions. Je sais toutefois qu’il a fait de fausses déclarations la semaine dernière au sujet des informations fournies à Michael Chong sur les menaces émises par Pékin contre lui et sa famille.

Monsieur le leader, l’année dernière vous avez dit au Sénat ce qui suit :

La désinformation sous toutes ses formes constitue une menace grave pour la société, la démocratie et la population canadienne.

Compte tenu de ces paroles, appuyez-vous les fausses affirmations faites à l’autre endroit par votre secrétaire parlementaire?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je suis dans l’incapacité de commenter les affirmations auxquelles vous faites allusion. Je peux toutefois vous dire que j’ai souvent l’occasion de rencontrer M. Gerretsen, qu’il me sert effectivement de secrétaire parlementaire, qu’il sert aussi le ministre Holland, et ce, de manière exemplaire, et qu’il constitue un point de liaison supplémentaire entre le gouvernement et notre bureau, ce qui nous est très utile pour notre travail.

Le sénateur Plett : Eh bien je trouve ça étrange. C’est votre secrétaire parlementaire, mais vous ne savez rien des affirmations qu’il fait.

Une voix : Non...

Le sénateur Plett : Eh bien oui. C’est comme quand le premier ministre soutient qu’il ignore telle ou telle information... la cheffe de cabinet du premier ministre, Katie Telford, prétend qu’elle fait le nécessaire pour que le premier ministre soit mis au courant de tout ce qui est nécessaire et qu’il voie tout ce qu’il y a à voir.

Ce n’est pas la première fois que le premier ministre et son gouvernement se conduisent de la sorte, comme je le disais à l’instant. Ce n’est jamais leur faute, et ils ont trois mots d’ordre : rejeter la faute sur la victime, répandre de fausses informations et ne jamais s’excuser sincèrement.

Quelques jours après que le scandale SNC-Lavalin a été révélé par le Globe and Mail, le gouvernement Trudeau s’est lancé dans une campagne de salissage contre Jody Wilson-Raybould. L’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique a trouvé le mot juste en qualifiant le tout de sexisme éhonté.

Le ministre O’Regan a publié un billet dans les journaux où il s’en prend personnellement au vétéran Sean Bruyea. Le vice-amiral Mark Norman n’a jamais eu droit aux excuses du gouvernement Trudeau pour tout ce que celui-ci lui a fait endurer.

Une voix : Cest exact.

Le sénateur Plett : Maintenant, Michael Chong se voit discrédité par le gouvernement Trudeau, notamment par votre secrétaire parlementaire.

Le gouvernement Trudeau cessera-t-il de cacher la vérité au sujet de l’ingérence étrangère, cessera-t-il de blâmer Michael Chong et lui présentera-t-il des excuses? Ou, pour justifier ses écarts de conduite, le premier ministre invoquera-t-il sa tristement célèbre excuse en disant que les gens vivent les choses différemment?

Le sénateur Gold : Voilà vraiment tout un tour d’horizon, sénateur Plett.

Le gouvernement a mis en place des mesures sérieuses pour s’attaquer à l’ingérence étrangère. Nous attendons le rapport du très honorable David Johnston qui sera déposé dans quelques semaines à peine. Dès le dépôt de ce rapport, les Canadiens connaîtront les mesures que le rapporteur spécial recommande au gouvernement pour continuer à mettre les Canadiens à l’abri de l’ingérence étrangère.

Les services publics et l’approvisionnement

La réfection du 24, promenade Sussex

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Je vais poser ma première question. Je ne recevrai pas de réponse mais, au moins, ma question figurera au hansard.

Monsieur le leader, les médias ont largement rapporté que la résidence officielle du premier ministre du Canada, sise au 24, promenade Sussex, est maintenant officiellement fermée, en partie à cause d’une infestation de rongeurs. En février, dans une réponse à une de mes questions écrites inscrites au Feuilleton du Sénat, j’ai appris que le gouvernement Trudeau avait dépensé plus de 800 000 $ de l’argent des contribuables pour élaborer un plan concernant l’avenir de cette résidence.

Le gouvernement Trudeau a eu huit ans pour s’occuper de ce dossier et il a dépensé plus de 800 000 $, mais il n’a toujours pas de plan. Je ne peux trouver d’observation plus appropriée à faire au sujet du gouvernement Trudeau que celle-ci : même avec des carcasses de rats qui pourrissent dans les murs et après avoir dépensé plus que le prix moyen d’une maison familiale au Canada, le gouvernement ne sait toujours pas quoi faire.

Encore combien de fonds publics le gouvernement Trudeau dépensera-t-il avant de présenter un plan?

La sénatrice Martin : Bravo!

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Il est fort regrettable, et j’espère que tous les Canadiens sont de cet avis, que l’état du 24, promenade Sussex se soit dégradé au point d’être aujourd’hui impropre à l’habitation humaine. Même si la culture politique, du moins à l’autre endroit, et peut-être même dans notre pays, explique peut-être en partie la situation, il est malheureux que les premiers ministres précédents des deux partis aient eu des réticences — les deux partis, sénateur Plett, comme le montrera le hansard. Il est regrettable que les gouvernements et les premiers ministres précédents, qui étaient conscients de l’état de détérioration du 24, promenade Sussex, aient choisi de ne pas investir dans son entretien au profit des futurs premiers ministres. Il est facile de reporter de telles mesures, car les Canadiens sont conscients que c’est de l’argent public qui est dépensé.

(1520)

Le premier ministre n’a jamais habité au 24, promenade Sussex. Au moment où il a été élu, cette résidence était clairement dans un mauvais état. Quelques années plus tard, elle est maintenant complètement inhabitable.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Projet de loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation

Message des Communes

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-227, Loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi sans amendement.

[Traduction]

Le Code criminel
La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels
La Loi sur le transfèrement international des délinquants

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Bev Busson propose que le projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole ici aujourd’hui au sujet du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants.

Si j’interviens avec plaisir, c’est parce que — j’espère que vous en conviendrez — ce projet de loi vise à protéger les plus vulnérables et à donner suite à la demande des victimes d’actes criminels qui souhaitent qu’on tienne compte de leurs droits alors que nous nous efforçons de parvenir à ce difficile équilibre des droits dans notre Constitution.

Le projet de loi S-12 a trois objectifs principaux : premièrement, donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ndhlovu, qui a invalidé certains éléments du Registre national des délinquants sexuels; deuxièmement, renforcer l’efficacité du registre; et troisièmement, donner plus de pouvoirs aux victimes et aux survivants d’actes criminels en modifiant les règles relatives aux ordonnances de non-publication et au droit des victimes d’être informées.

Les réformes relatives au Registre national des délinquants sexuels proposées dans ce projet de loi sont plutôt urgentes. Si le projet de loi S-12 n’obtient pas la sanction royale d’ici le 28 octobre prochain, les tribunaux ne pourront plus inscrire les délinquants sexuels reconnus au Registre national des délinquants sexuels, ce qui nuira à la capacité des services de police d’enquêter au sujet des infractions sexuelles et de les prévenir.

En ma qualité d’agente de police à la retraite, je suis particulièrement interpelée par ce projet de loi. Plus tôt dans ma carrière, dans le cadre de mes fonctions au sein de la Gendarmerie royale du Canada, de nombreux cas — sinon tous les cas — d’infractions d’ordre sexuel dans mon secteur se retrouvaient sur mon bureau pour que je mène les enquêtes et les interrogatoires. Compte tenu des circonstances, on serait porté à croire que je m’étais habituée à entendre le récit détaillé de ces histoires déchirantes d’agression, mais je peux vous assurer qu’on ne s’y habitue jamais. Toute mesure législative qui facilite les enquêtes et contribue à prévenir ces crimes et à soutenir les personnes survivantes est un outil important.

Le Registre national des délinquants sexuels a été créé en 2004. Ce registre donne la capacité aux policiers d’accéder à des renseignements à jour et fiables sur les délinquants sexuels inscrits, y compris leurs noms, leurs pseudonymes, leurs adresses et la description de toute caractéristique physique distinctive. Pour les services de police, le registre est un outil clé pour identifier des suspects potentiels après qu’une infraction sexuelle a été commise et pour surveiller les déplacements des contrevenants afin de prévenir d’autres crimes de nature sexuelle.

Le registre fonctionne conformément à plusieurs lois fédérales. Le Code criminel énonce, entre autres, les pouvoirs des tribunaux pour ordonner l’inscription des délinquants sexuels, et détermine la période où l’inscription sera en vigueur et les conséquences du non‑respect des exigences associées à l’inscription au registre.

La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévoit les obligations que tous les délinquants inscrits doivent respecter, notamment se présenter en personne à un bureau d’inscription chaque année et fournir régulièrement des renseignements aux policiers, comme leur adresse, la marque et le modèle de leur véhicule et leur lieu de travail.

Le Comité de la sécurité publique et nationale de l’autre endroit en a fait l’examen en 2009, dans le but de la rendre plus utile aux forces de l’ordre, car, les juges et le ministère public disposant d’une grande latitude, très peu de délinquants voyaient leur nom inscrit dans le registre.

À vrai dire, bon nombre de procureurs ne se donnaient même pas la peine d’aborder la question pendant les procédures. Pour remédier à la situation, le comité a recommandé de modifier la loi afin de rendre l’inscription obligatoire, tout en laissant au juge la marge de manœuvre nécessaire pour se soustraire à cette règle s’il estime que c’est contraire à l’intérêt public. Quant au pouvoir discrétionnaire du ministère public, il en recommandait la disparition pure et simple.

En 2011, le gouvernement est allé pas mal plus loin que ce que recommandait le comité et a modifié le Code criminel afin de rendre l’inscription obligatoire dans tous les cas, sans accorder de pouvoir discrétionnaire à qui que ce soit, juges ou procureurs. Autrement dit, dès qu’un prévenu était reconnu coupable d’une infraction sexuelle désignée ou en était jugé non criminellement responsable pour cause de trouble mental, ses renseignements personnels étaient consignés. Ces modifications ne permettaient aucune exception, quelles que soient les circonstances. Il s’agit d’un des éléments au cœur de l’arrêt R. c. Ndhlovu de la Cour suprême du Canada. Celle-ci a conclu que l’inscription automatique et systématique était contraire à la Charte, car elle visait aussi les délinquants qui ne risquaient pas de récidiver, ce qui, à son avis, était inconstitutionnel, puisque contraire à l’objectif poursuivi par le registre.

La cour a suspendu l’entrée en vigueur de sa décision concernant l’enregistrement automatique pendant un an, afin de laisser au Parlement le temps de concevoir une approche conforme aux dispositions de la Constitution. Le projet de loi S-12 en est le résultat.

Dans la même décision, la cour a invalidé un deuxième élément du Code criminel, qui concernait la période pendant laquelle un délinquant devait être enregistré. Plus précisément, la cour a invalidé la disposition exigeant l’inscription à perpétuité de tous les délinquants déclarés coupables de plus d’une infraction désignée pendant le même procès. Cette disposition a été invalidée immédiatement, le changement prenant effet rétroactivement en 2011, au moment de l’ajout de la disposition.

Pour respecter le délai d’un an fixé par la cour, nous devons procéder rapidement à l’examen du projet de loi. Comme je l’ai souligné, si un nouveau cadre législatif n’est pas mis en place avant le 29 octobre 2023, les tribunaux n’auront plus le pouvoir d’exiger l’enregistrement des délinquants sexuels. Cela créerait un vide dangereux, puisque les forces de l’ordre ne pourraient plus s’appuyer sur le registre pour obtenir les renseignements essentiels dont elles ont besoin pour prévenir des crimes sexuels ou enquêter. Nous ne pouvons pas permettre qu’une telle chose se produise. Le vieil adage qui dit que « votre urgence n’est pas nécessairement la mienne » ne s’applique malheureusement pas dans ce cas-ci.

Le projet de loi propose de maintenir l’enregistrement automatique dans deux circonstances importantes : premièrement, pour les récidivistes; deuxièmement, pour ceux qui commettent des infractions sexuelles sur des enfants et sont condamnés à une peine de deux ans ou plus par voie de mise en accusation. Il s’agit de deux situations dans lesquelles le gouvernement estime que l’enregistrement automatique est justifié, car il est directement lié et proportionnel aux objectifs de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. À cet égard, ces modifications reflètent les orientations données par la Cour suprême du Canada et renforceront la confiance du public dans l’approche du système de justice pénale à l’égard des infractions sexuelles.

Dans tous les autres cas, le projet de loi S-12 prévoit que l’enregistrement doit être ordonné à moins que le délinquant ne puisse démontrer que l’enregistrement aurait une portée trop vaste ou que ses effets seraient nettement démesurés. L’enregistrement est donc ordonné par défaut — le fardeau de la preuve est inversé, en gros —, sauf dans certaines circonstances très restreintes. Je souligne que ce nouveau régime suit la recommandation du Comité de la sécurité publique découlant de son examen de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels en 2009.

Les réformes proposées permettraient également à un tribunal d’ordonner l’enregistrement à perpétuité des personnes condamnées pour plus d’une infraction désignée dans le cadre de la même procédure, lorsque les infractions démontrent un risque accru de récidive. Cela permet aux tribunaux de continuer à ordonner l’enregistrement à perpétuité dans les cas appropriés, tout en répondant aux préoccupations concernant la portée excessive exprimées dans l’arrêt de la Cour suprême.

Chers collègues, cela m’amène au deuxième objectif du projet de loi, qui est de renforcer le Registre national des délinquants sexuels. Je voudrais souligner certaines des réformes proposées qui visent à garantir que le registre continue d’être un outil efficace et efficient en matière d’application de la loi.

(1530)

Le projet de loi S-12 allonge la liste des infractions qui permettent d’inscrire un contrevenant condamné au registre. En particulier, le projet de loi ajoute à la liste l’infraction de distribution non consensuelle d’images intimes. Ce type d’infraction, également appelé « porno-vengeance » ou « cyberharcèlement », peut avoir des effets dévastateurs sur les personnes qui en sont la cible. Le projet de loi vise également la sextorsion en ajoutant à la liste toute extorsion dont il est démontré qu’elle a été commise dans l’intention de commettre un délit sexuel. Il s’agit d’une étape importante pour aider la police à identifier les auteurs de crimes qui sont de plus en plus fréquents à l’ère numérique.

Le projet de loi permettrait également l’ajout d’un nouveau pouvoir d’arrestation dans le Code criminel pour traiter les cas de non-respect des obligations en matière d’inscription. Actuellement, on estime que jusqu’à 20 % des personnes ne respectent pas les obligations qui leur sont imposées au titre du Registre national des délinquants sexuels. Cette situation est inacceptable. Le seul mécanisme législatif qui permet de faciliter le respect des exigences d’inscription au registre dans le cadre de la loi actuelle consiste à arrêter individu et à porter des accusations en vertu du Code criminel. Cependant, déposer une accusation n’entraîne pas nécessairement le respect des obligations. Le projet de loi créerait un mandat de conformité et permettrait à la police de demander un mandat d’arrestation pour amener un délinquant sexuel fautif à un bureau d’inscription afin qu’il remplisse ses obligations prévues par la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Si le délinquant fournit les informations requises, il ne sera pas inculpé. La police disposera ainsi des outils nécessaires pour amener plus efficacement les délinquants à se conformer à leurs obligations.

Une autre modification importante apportée par le projet de loi consisterait à exiger des délinquants sexuels inscrits qu’ils fournissent à la police un préavis de 14 jours avant de voyager, ainsi qu’une liste des adresses précises où ils séjourneront au cours de leurs déplacements. Les services de police auraient ainsi le temps de procéder à une évaluation des risques et d’avertir, le cas échéant, les partenaires compétents en matière d’application de la loi, ce qui permettrait aux autorités canadiennes de mieux remplir leurs obligations, tant nationales qu’internationales, au titre de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.

Je dois vous dire que, lors d’une visite très récente au Centre national contre l’exploitation des enfants de la GRC, j’ai entendu, avec des collègues du Sénat et de l’autre endroit, des histoires de délinquants enregistrés appelant de l’aéroport pour signaler leurs projets de voyage. Ils remplissaient ainsi en principe les exigences énoncées dans la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, mais ils ne laissaient pas le temps à la police d’avertir ses partenaires qu’une personne potentiellement dangereuse était en route vers leur territoire. C’était l’une des choses que la police souhaitait qu’on change, et ce serait une heureuse modification au Registre national des délinquants sexuels.

Cela m’amène au troisième objectif du projet de loi, qui est tout aussi important, à savoir donner du pouvoir aux survivants et aux victimes d’actes criminels en apportant des modifications aux règles qui régissent les interdictions de publication et leur droit à l’information.

Le projet de loi S-12 propose des réformes d’interdiction de publication qui répondent directement aux appels de victimes de violence sexuelle, qui sont de manière disproportionnée des femmes et des filles. Les victimes méritent d’être davantage impliquées dans le processus de justice pénale et de pouvoir raconter leur histoire si elles le souhaitent.

Les diverses dispositions du Code criminel relatives aux ordonnances de non-publication visent à protéger les témoins et les victimes contre d’autres préjudices en dissimulant leur identité. D’une part, une ordonnance de non-publication peut encourager des témoins et des victimes à témoigner. Ceux qui pourraient autrement craindre de se manifester seront plus enclins à le faire. Toutefois, certaines victimes de la criminalité ont constaté que les ordonnances de non-publication avaient pour effet de les réduire au silence ou de leur imposer des restrictions. J’ai eu l’honneur de rencontrer des victimes d’infractions sexuelles qui souhaitent retrouver leur droit à l’anonymat. Un groupe, appelé My Voice, My Choice, représenté par Morrell Andrews et d’autres victimes, s’est exprimé ainsi :

Par respect pour les nombreuses victimes-plaignantes qui s’adresseront aux tribunaux afin de demander des comptes pour les préjudices qu’elles ont subis, n’oubliez pas qu’il ne s’agit pas d’une question politique.

Nous avons la possibilité d’être ambitieux et de créer un meilleur processus qui tient compte du droit inhérent des victimes d’infractions de nature sexuelle de faire part de leur expérience sans crainte d’être considérés comme des criminelles. C’est leur voix, et le choix doit leur appartenir. Ces victimes voudraient qu’on demande leur consentement au lieu de simplement les consulter au sujet de l’ordonnance de non‑publication, mais je crois que ce sera au comité de se pencher là-dessus.

Il est pratiquement inconcevable que, dans le système actuel, des victimes aient été accusées d’avoir violé une ordonnance de non‑publication qui visait à les protéger et dont elles étaient les seules à bénéficier. Imaginons cela. C’est tout à fait inacceptable. Ces survivantes méritent de pouvoir raconter ce qu’elles ont vécu si elles le désirent. Il est important que ce choix leur appartienne, et qu’elles soient les seules à pouvoir choisir. Leur libre choix a déjà été violé lorsqu’elles ont été victimes du crime, et il l’est de nouveau lorsqu’elles font l’objet d’une ordonnance de non‑publication qui les empêche de choisir et les prive du droit d’utiliser leur nom.

Afin de corriger la situation, le projet de loi S-12 propose d’obliger le juge à demander au procureur de confirmer si des mesures raisonnables ont été prises pour consulter la victime en vue de déterminer si une ordonnance de non-publication devrait être imposée. Cette proposition s’accorde avec la recommandation 11 du septième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, intitulé Améliorer le soutien aux victimes d’actes criminels.

En outre, le projet de loi S-12 clarifiera les processus de modification et de révocation d’une ordonnance de non-publication imposée en inscrivant dans la loi un processus qui n’existe actuellement que dans la common law. Le projet de loi fera également en sorte que les ordonnances de non-publication s’appliquent au matériel en ligne pouvant avoir été publié avant l’imposition de l’ordonnance. Ces deux mesures reconnaissent que les victimes et les survivants doivent avoir le droit de changer d’avis.

Le choix de révoquer ou de modifier une ordonnance de non‑publication devrait être dicté par les souhaits de la victime ou du survivant. Cependant, le projet de loi conférerait au juge le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser une telle demande si elle risque, par exemple, d’identifier une seconde victime qui souhaite conserver l’anonymat. On s’attend à ce que ce genre de scénario soit extrêmement rare et à ce que, pour la grande majorité des cas, toute ordonnance de non-publication soit levée dans les cas où la victime ne la désire manifestement pas.

Il n’y a pas de manuel expliquant la bonne ou la mauvaise façon d’être une victime. Le projet de loi reconnaît le droit de choisir des victimes et des survivants et confère à ces derniers un certain pouvoir décisionnaire. Redonner le pouvoir aux victimes et aux survivants de violence sexuelle peut s’avérer essentiel à leur processus de guérison. Cela peut, dans l’esprit de certaines victimes, leur éviter de vivre de nouveaux traumatismes dans le cadre du processus de justice pénale. Pour d’autres, exercer le contrôle sur leur nom et leur identité est essentiel à leur cheminement vers l’autonomie.

Il est important de bien faire les choses. Je suppose que beaucoup d’entre vous ont déjà entendu des survivants qui travaillent sur cette question, comme c’est mon cas. Les survivants comptent sur nous pour corriger le régime d’ordonnance de non-publication afin qu’ils soient mieux outillés et qu’ils soient traités avec dignité et respect. J’ai hâte de travailler avec vous tous pour parvenir à cet équilibre délicat. À mon avis, c’est un point que nous pouvons passer en revue au comité, en consultant les survivants, pour déterminer si le libellé peut être renforcé.

Je vais prendre un instant pour vous parler du droit à l’information d’une victime à propos de l’affaire qui la concerne et du délinquant qui lui a causé des préjudices. Ce droit est inscrit aux articles 6, 7 et 8 de la Charte canadienne des droits des victimes. Le projet de loi S-12 permettra aux victimes d’avoir plus facilement accès aux renseignements sur la procédure après la détermination de la peine ou après qu’un accusé est déclaré non criminellement responsable en raison d’un trouble mental. C’est extrêmement important pour les victimes et les services policiers qui sont responsables de les protéger.

Pour atteindre cet objectif, le projet de loi prévoit plusieurs mesures. D’abord, il obligerait le juge à s’enquérir auprès du poursuivant si des mesures raisonnables ont été prises pour établir si la victime souhaite obtenir ces renseignements. Ensuite, le projet de loi permettrait aux victimes de manifester leur intérêt par l’entremise d’une déclaration. Enfin, il obligerait le tribunal à fournir au Service correctionnel du Canada et à la Commission des libérations conditionnelles le nom et les coordonnées de la victime si elle a exprimé le désir de recevoir ce type de renseignements.

Une fois de plus, cette approche est respectueuse des besoins des victimes et vise à leur offrir la latitude nécessaire pour obtenir des informations au moment de leur choix. Il est à noter que cette proposition a fait l’objet d’une attention et d’un soutien particuliers de la part du médiateur fédéral pour les victimes de la criminalité.

En conclusion, chers collègues, les modifications proposées par le projet de loi à l’étude répondront au besoin urgent de rendre les lois relatives au Registre national des délinquants sexuels conformes à la Charte. En même temps, le projet de loi fera en sorte que le registre atteigne son objectif vital, soit d’offrir aux policiers des renseignements à jour et fiables pour les enquêtes et la prévention des crimes de nature sexuelle. Il rendra également le système de justice pénale plus sensible aux survivants et aux victimes de crimes sexuels.

Ces réformes sont ciblées, mesurées et sensées. Elles changeront la donne en matière de prévention et d’enquête concernant certaines des infractions les plus complexes et elles soutiendront les droits des victimes qui ont de la difficulté à se remettre des crimes qui ont bouleversé leur vie.

(1540)

Certains diront que les mesures ne vont pas assez loin. D’autres diront qu’elles vont trop loin. Toutefois, je pense que le projet de loi contribuera à trouver un juste milieu entre ces deux extrêmes et à pousser le pendule dans la bonne direction. Je vous exhorte, chers collègues, à agir de toute urgence pour renvoyer le projet de loi S-12 au comité, où il pourra faire l’objet d’une étude plus approfondie et d’une consultation auprès des survivants. Merci, meegwetch.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question? Sénatrice Busson, j’ai une certaine expérience avec les victimes d’agression sexuelle, particulièrement celles qui ont été assassinées.

Il y a quelques semaines, j’étais à Camrose, en Alberta, où j’ai rencontré une famille dont la mère a été assassinée, comme son enfant de 4 ans, qui a été assassiné quelques heures plus tard par son voisin, qui habitait à deux portes de chez elle.

Ce voisin était un criminel qui avait un très long parcours — il avait déjà agressé sexuellement et assassiné une femme dans les années 1980. Il était d’ailleurs fiché. Il habitait un immeuble résidentiel dans une ville. En quatre ans et demi, il a changé environ quatre ou cinq fois d’adresse; il n’a jamais avisé les autorités, comme le stipulaient ses conditions de libération. De plus, il avait un policier comme voisin.

Je comprends bien que le projet de loi continuera d’inscrire des prédateurs sexuels au registre, mais comprend-il un mécanisme visant à contrôler ces criminels, une fois qu’ils sont fichés? Voici le problème : même si on inscrit des milliers d’hommes au registre, une fois qu’ils sont inscrits, puis remis en liberté, si on ne les contrôle pas, ils continueront d’agresser des enfants et des femmes.

Le projet de loi a-t-il prévu un mécanisme de contrôle et de suivi de ces hommes dangereux?

[Traduction]

La sénatrice Busson : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. J’ai entendu cette histoire aux nouvelles et j’ai été bouleversée et outrée d’apprendre qu’il s’agissait d’un récidiviste qui avait pris pour cible cette femme et son enfant.

Je pense que les nouvelles dispositions du registre des délinquants sexuels permettront à la police d’en faire davantage pour assurer le suivi de ces délinquants. Il y a une disposition sur l’inscription qui prévoit des pouvoirs qui permettront à la police de faire le suivi des délinquants qui ne respectent pas leurs conditions afin de les inscrire au registre. Je pense que cela incitera la police à consacrer plus de temps à faire en sorte que ces délinquants respectent les restrictions et les conditions qui leur sont imposées.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Lorsque le projet sera étudié au comité, vous viendrez sans doute le défendre. Le gouvernement est-il ouvert à ce qu’on y apporte une modification majeure, au moyen de laquelle on imposerait un procès automatique aux récidivistes qui sortent d’un pénitencier pour les poursuivre dans la collectivité?

[Traduction]

La sénatrice Busson : Je ne suis pas sûre de comprendre totalement la question, mais si vous me demandez si les propositions de ce régime permettront de mieux aider la police à identifier et à faire le suivi des délinquants et à les obliger à respecter leurs conditions, je pense que c’est le cas. Ce n’est pas mon gouvernement, mais j’espère qu’il y aura des amendements qui rendront ce régime encore plus efficace.

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants.

Je veux toutefois commencer par le début en expliquant comment nous en sommes arrivés là, et en avertissant que certaines de ces histoires peuvent être troublantes.

En mars 2011, Eugene Ndhlovu, 19 ans, immigré du Zimbabwe et étudiant au Northern Alberta Institute of Technology, a été invité par une amie à une fête sur le thème de l’émission Jersey Shore à Edmonton. La fête était annoncée en ligne comme un événement DTF. Cet acronyme signifie « down to fraternize », mais le mot « F » utilisé dans la publicité n’était pas « fraterniser ». Ndhlovu a dit qu’il ne voulait pas y aller, qu’il avait trop de choses à faire le lendemain. L’amie a insisté pour qu’il soit présent et lui a dit qu’il pouvait rester pour la nuit et qu’elle lui trouverait un chauffeur pour se rendre au travail le matin.

Une fois à la fête, Ndhlovu a commencé à boire avec la femme qui l’avait invité et une autre amie commune. Selon l’exposé conjoint des faits, l’adolescent a touché les fesses et les cuisses de la seconde fille. Le lendemain matin, la première fille, celle qui l’avait invité à la fête, s’est réveillée et s’est aperçue que Ndhlovu essayait d’insérer ses doigts en elle. Elle lui a dit non. Il a essayé de la convaincre. Elle a encore dit non, alors il s’est arrêté et est parti.

Par la suite, il a fait l’objet de deux chefs d’accusation d’agression sexuelle, le premier pour avoir essayé d’insérer ses doigts dans le vagin de la première femme, et le second pour avoir touché sans consentement les fesses et les cuisses de l’amie de l’autre femme. Le jeune homme, qui n’avait pas de casier judiciaire, a plaidé coupable aux deux chefs d’accusation d’agression sexuelle et il a reçu une peine de six mois d’emprisonnement. En raison de ces condamnations, le jeune homme aurait dû être automatiquement inscrit, à vie, au registre des délinquants sexuels, avec toutes les conséquences lourdes et humiliantes que cela suppose.

Toutefois, la juge de première instance à Edmonton, l’honorable juge Andrea Moen, a fait preuve de bon sens et déterminé que d’inscrire ce jeune homme au registre n’était pas justifié dans les circonstances parce qu’il assumait pleinement la responsabilité de ses gestes et exprimait des remords sincères. Elle a aussi souligné qu’une inscription au registre le rendrait particulièrement vulnérable au profilage racial.

Madame la juge Andrea Moen a déclaré ce qui suit :

Dans sa version actuelle, la loi ferait en sorte que M. Ndhlovu se retrouve dans la mire des policiers pour le reste de sa vie chaque fois qu’une infraction de nature sexuelle serait perpétrée par un homme de race noire de taille moyenne dans son quartier.

Elle a ajouté que d’inscrire son nom au registre « ne contribuerait pas à assister les policiers à mener leurs enquêtes ou à prévenir de futures infractions de nature sexuelle. »

Selon moi, cette décision semble être un exemple d’utilisation raisonnable du pouvoir discrétionnaire des juges.

L’agression sexuelle à l’endroit d’une des femmes était grave; elle a d’ailleurs mené à une peine d’emprisonnement. Toutefois, la deuxième accusation, celle d’avoir touché les fesses et la jambe de l’autre jeune femme, était décidément moins grave.

En fait, on peut légitimement se demander si des pressions n’ont pas été exercées sur la Couronne pour qu’elle inculpe M. Ndhlovu de deux infractions distinctes dans le seul but de l’inscrire au registre, d’autant plus que l’inscription au registre n’est devenue automatique qu’en avril 2011, soit moins d’un mois après les agressions.

La Couronne a porté la décision en appel et a obtenu une décision partagée de la Cour d’appel de l’Alberta. Je tiens toutefois à souligner que c’est la juge Ritu Khullar, aujourd’hui juge en chef de l’Alberta, qui a exprimé sa dissidence et soutenu la décision du juge de première instance. Cette décision partagée a ouvert la voie à un appel devant la Cour suprême du Canada. Celle-ci, dans sa propre décision partagée rendue en octobre 2022, a confirmé la décision du juge de première instance et a jugé inconstitutionnelle l’inscription automatique obligatoire des délinquants sexuels dans le registre national.

Comme nous l’avons entendu, la cour a donné au gouvernement un an pour donner suite à sa décision. C’est ainsi que nous sommes maintenant saisis du projet de loi S-12, que nous avons pour impératif politique d’adopter avant la fin de l’année.

Le projet de loi maintient l’inscription automatique des délinquants sexuels récidivistes et de ceux qui commettent des crimes sexuels contre des enfants. Dans tous les autres cas, le prévenu aura le droit de contester l’inscription de ses renseignements. S’il peut prouver que son inscription au registre constitue une peine disproportionnée par rapport à l’infraction, alors le juge peut décider de passer outre. Comme la sénatrice Busson vient de l’expliquer, le fardeau de la preuve est inversé, et l’inscription au registre se fait par défaut, à moins que le prévenu puisse prouver qu’il n’a pas d’affaire là. Ce sera alors au juge de déterminer si l’inscription est justifiée. Il devra tenir compte de plusieurs facteurs, dont la nature et la gravité du crime, l’âge et la situation personnelle de la victime, la nature de la relation entre la victime et le prévenu, la situation personnelle de ce dernier, y compris ses antécédents criminels, et l’avis des témoins experts.

Le projet de loi S-12 redonnera à tout le moins une certaine autonomie aux juges, qui pourront de nouveau juger toute l’affaire. Après avoir entendu l’ensemble des témoignages, ils pourront déterminer si l’inscription au registre est justifiée dans les circonstances, si elle constitue une peine proportionnelle, si elle sert l’intérêt public et si elle respecte les droits du prévenu.

Il y en aura certainement pour prétendre que l’idée même d’un registre des délinquants sexuels est contre-productive, que ce genre de « liste noire » est une méthode barbare importée des États-Unis et qu’elle n’a aucune raison d’être dans la société canadienne. D’aucuns pourraient même affirmer qu’il s’agit d’un simple simulacre de sécurité qui, loin de protéger la population et de réduire les récidives, alimente les craintes de M. et Mme Tout-le-Monde et l’hystérie publique, tout en compliquant la vie de ceux qui ont purgé leur peine et veulent réintégrer la société sans faire de vagues.

Comme l’a dit la Cour suprême elle-même au sujet de ces listes :

Or, malgré sa longue existence, il y a peu de preuves concrètes, voire aucune, de la mesure dans laquelle elle aide la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci.

(1550)

D’aucuns diront certainement que le renversement du fardeau de la preuve fait peser une charge injuste sur les accusés en renversant l’équilibre de notre système de justice pénale, qui donne à l’État, à la Couronne, le fardeau juridique de faire valoir ses arguments.

Cependant, d’un point de vue politique, je peux comprendre que le gouvernement puisse hésiter à abolir ces registres problématiques et qu’il prenne plutôt cette mesure beaucoup plus modeste pour se conformer aux directives de la Cour suprême. Néanmoins, une fois que ce projet de loi aura été renvoyé au comité, j’espère que des questions difficiles seront posées sur la valeur des registres de délinquants sexuels ou sur le fait qu’ils ne sont qu’un spectacle politique contreproductif.

Le projet de loi dont nous sommes saisis représente également un changement fondamental et attendu depuis longtemps dans la manière dont nous privons les victimes d’agressions sexuelles de leurs droits et dont nous les couvrons de honte.

Pendant trop longtemps, les tribunaux canadiens ont imposé automatiquement des ordonnances de non-publication des noms des victimes d’agressions sexuelles sans se demander si ces ordonnances étaient toujours dans l’intérêt des victimes elles‑mêmes. Cette pratique, qui a vu le jour il y a près de 40 ans, était noble à l’origine. L’idée derrière les lois dites de protection des victimes de viol était de protéger les victimes d’agressions sexuelles de la honte et du regard du public et de les encourager à porter plainte en protégeant leur identité.

Il arrive toutefois que les victimes veuillent être connues. Elles ne veulent pas nécessairement être protégées à perpétuité d’une manière qui les infantilise et les prive de leur faculté d’agir et de leur capacité d’autodétermination.

Permettez-moi d’illustrer ce que je veux dire à l’aide d’un exemple. Il s’agit d’une affaire que j’ai couverte lorsque j’étais moi-même journaliste.

En 2006, l’enlèvement en Saskatchewan d’un garçon de 10 ans a choqué et horrifié les Canadiens. L’enfant avait été enlevé de la maison de ses parents à Whitewood, en Saskatchewan, par un prédateur sexuel en série notoire, Peter Whitmore. Celui-ci a amené le garçon à une ferme abandonnée près de Kipling, où il avait tenu un autre enfant prisonnier, un garçon de 14 ans qu’il avait enlevé quelques semaines plus tôt.

Le garçon de 10 ans a été secouru après deux jours, grâce à un agriculteur observateur qui a remarqué que quelqu’un occupait la maison abandonnée. Le garçon avait été attaché à un lit avec une chaîne. On l’avait forcé à se promener nu, tenu en laisse. Même après la condamnation de Peter Whitmore, le garçon n’était pas au bout de ses épreuves. Il a subi de l’intimidation à son école de village, où les autres enfants l’abreuvaient d’insultes homophobes à cause de l’agression sexuelle qu’il avait subie, au point où ses parents ont dû le retirer de l’école pour lui faire l’école à la maison.

Au moment de son enlèvement, on pouvait voir son nom et sa photo partout dans les médias. Toutefois, lorsque le procès a débuté, le tribunal a émis une ordonnance de non-publication à son sujet, et il est devenu illégal pour les médias de publier son nom ou sa photo. Dix ans plus tard, il lui était toujours interdit d’écrire un blogue ou de publier quelque chose sur Facebook sur ce qu’il avait vécu. Le pays tout entier était au courant des horribles détails entourant son enlèvement, mais il lui était toujours interdit de raconter comment il avait survécu, de partager son histoire et de surmonter sa douleur.

Puis, à la fin de 2015, un tribunal de Regina a enfin redonné son nom et sa voix à Zachary Miller. La juge Catherine Dawson de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a accueilli favorablement la demande de M. Miller visant à faire lever l’ordonnance. Celui-ci avait fait valoir qu’il souhaitait qu’on le voit comme un survivant et non comme une victime, et que son histoire aide d’autres personnes à composer avec les conséquences de sévices.

M. Miller, qui était alors âgé de 20 ans, avait déclaré ceci :

Cette ordonnance de non-publication du tribunal me fait sentir comme une victime, car elle me prive du droit d’utiliser mon nom dans tous les médias, quels qu’ils soient, ce qui me prive en quelque sorte de mon droit à la liberté d’expression.

Vous vous demanderez peut-être « Si les victimes peuvent contester les ordonnances de non-publication même si cette démarche est longue et coûteuse, pourquoi le projet de loi S-12 est‑il nécessaire? »

Eh bien, c’est parce que la victoire n’est pas assurée. Prenons l’exemple d’une autre affaire sur laquelle j’ai écrit. C’est l’histoire d’un jeune homme de la région de St. Paul, en Alberta, qui a eu une relation sexuelle avec une enseignante alors qu’il n’avait que 17 ans. L’enseignante, qui avait insisté sur le fait que les rapports étaient consensuels, a finalement été acquittée du chef d’accusation d’exploitation sexuelle. En 2007, sept ans après le procès, le jeune homme, alors âgé de 26 ans, a demandé la levée de l’ordonnance de non-publication, afin de pouvoir enfin parler de la souffrance psychologique persistante d’avoir été victime d’une adulte en qui il avait confiance.

La Couronne, et c’est tout à son honneur, ne s’est pas opposée à la demande. On pourrait donc penser que les choses ont été faciles. Toutefois, le juge chargé de l’affaire a refusé de lever l’ordonnance, estimant qu’il ne serait pas dans l’intérêt du public de le faire, même après toutes ces années. La seule option qui s’offrait à l’homme était de faire appel auprès de la Cour suprême du Canada. Il l’a fait, mais la cour a refusé d’entendre son cas.

Ainsi, quand elle est mal appliquée, l’ordonnance de non-publication, quasiment inamovible, fait subir de nouveaux torts aux victimes au nom de la protection de leur vie privée. C’est une pratique condescendante et paternaliste. Pire encore, elle envoie aux victimes d’agressions sexuelles le message explicite qu’elles ont été tellement humiliées et déshonorées — que ce qui leur est arrivé est si particulièrement et singulièrement déshonorant —, qu’elles doivent être soustraites à la vue du public. Il s’agit d’une attitude médiévale à l’égard du viol, inspirée par la misogynie et l’homophobie, et il faut la reléguer au passé.

Le projet de loi S-12 contribue à rétablir l’équilibre. Il précise qu’une victime doit être consultée avant l’imposition d’une interdiction de publication. Il indique également qu’un tribunal doit tenir une audience pour toute victime d’agression sexuelle qui souhaite révoquer ou modifier une interdiction de publication visant à protéger son identité.

Là encore, il s’agit d’un compromis. La demande n’est pas automatiquement acceptée. Selon le projet de loi, le tribunal doit prendre en considération tout changement important de circonstances, notamment les souhaits de la victime. En fin de compte, le tribunal doit statuer non pas sur la base des souhaits de la victime, mais sur la question de savoir si la révocation ou la modification de l’interdiction est « dans l’intérêt de la justice ».

Si le projet de loi contribue à redonner aux victimes qui choisissent de parler le pouvoir de le faire, il comporte également des dispositions plus larges visant à protéger la vie privée des personnes qui ne souhaitent pas que leur identité soit connue. La loi actuelle interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier une victime d’agression sexuelle. À l’ère des médias sociaux, le projet de loi S-12 élargit cette disposition à toute personne qui transmet, ou rend autrement disponible, des informations sur une victime, un témoin ou une personne associée au système judiciaire dont l’identité est protégée par une interdiction de publication — une disposition qui semblerait couvrir les gazouillis, les messages sur Mastodon, les publications sur Facebook et même les potins dans les sessions de clavardage en groupe. Je suis certaine que cette disposition fera également l’objet de longs débats en comité, car elle permettrait éventuellement de sanctionner non seulement les éditeurs de journaux et les chaînes de télévision, mais aussi de nombreux citoyens ordinaires.

En raison du délai fixé par la Cour suprême, il y a une certaine urgence à adopter ce projet de loi rapidement. Malgré tout, j’espère que nous nous accorderons le temps nécessaire pour étudier ses complexités et ses contradictions parce qu’il s’agit de questions cruciales qui concernent les libertés civiles et la sécurité de nos collectivités. Merci. Hiy hiy.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur le gouverneur général

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Plett, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-221, Loi modifiant la Loi sur le gouverneur général (pension de retraite et autres prestations).

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat au nom du sénateur Carignan pour le reste de son temps de parole.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Ravalia, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

(1600)

En tant que membre du Comité sénatorial des droits de la personne et du Comité des peuples autochtones, et en raison de mes nombreuses années de travail communautaire en tant que travailleuse sociale, je suis bien au fait de l’impact de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale sur les populations les plus vulnérables.

Je félicite le sénateur Ravalia d’avoir proposé le projet de loi S-253. Je souligne que le projet de loi a été rédigé à la suite de vastes consultations avec le réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale qui est un réseau de recherche interdisciplinaire réunissant des partenaires de partout au pays. Je suis donc persuadée que le projet de loi s’appuie sur les connaissances et l’expertise les plus récentes.

Je remercie ce réseau de recherche de son travail extraordinaire et de son engagement soutenu.

Merci aux sénateurs qui ont exprimé leur appui envers le projet de loi. La sénatrice Duncan interviendra au sujet de cette mesure aujourd’hui, après mon discours.

Les troubles causés par l’alcoolisation fœtale sont des troubles neurologiques permanents qui sont causés par l’exposition du fœtus à l’alcool avant la naissance. Il s’agit de la principale cause de troubles du développement au Canada.

Santé Canada estime qu’entre 1 % et 5 % de la population pourrait être atteint de ces troubles. Toutefois, comme ils sont difficiles à diagnostiquer, ils passent souvent inaperçus. Certains groupes sont plus touchés que d’autres. Par exemple, au Canada, le nombre de personnes touchées varie de 9,8 % à 23,3 % pour la population carcérale générale et pourrait atteindre 50 % parmi les délinquants autochtones.

Bien que ce trouble puisse toucher de nombreux systèmes de l’organisme, ses effets se manifestent principalement au niveau du cerveau. Si de nombreuses personnes atteintes de ce trouble ne présentent aucun signe extérieur de handicap, elles peuvent avoir toute une gamme de difficultés d’apprentissage et déficiences de la mémoire.

Voici quelques exemples de signes que l’on peut observer chez les personnes atteintes de ce trouble : oublier comment faire quelque chose qu’elles ont appris à faire; problèmes de communication, et ce, bien souvent, malgré d’excellentes aptitudes verbales; difficultés à saisir certains signaux sociaux et à comprendre les autres; difficulté à comprendre les concepts abstraits et à intérioriser des règles; difficultés de concentration causées par des troubles de l’autorégulation, qui est aggravée par les problèmes éprouvés pour saisir des concepts abstraits, raisonner, résoudre des problèmes et établir des liens de causalité. Les personnes atteintes de ce trouble ont souvent une vie scolaire perturbée, ainsi que des difficultés à interagir avec les autres et à conserver leur emploi. De plus, elles ont parfois des difficultés financières.

Les effets des déterminants sociaux de la santé entraînent un risque plus élevé de dépression, de toxicomanie, d’alcoolisme, d’itinérance, et de pauvreté. En l’absence d’intervention et d’aide adéquates, les personnes atteintes de ce trouble, leur famille et leur milieu sont plus à risque de connaître un sort peu enviable.

Je pense qu’il est essentiel d’adopter une approche pancanadienne en matière de prévention. L’élaboration d’un cadre national nous donne l’occasion d’étudier cette question plus en détail au comité.

Une intervention précoce auprès des femmes à risque est essentielle pour améliorer l’issue des grossesses et le sort des enfants qui naissent avec un trouble causé par l’alcoolisation fœtale. Le réseau de recherche et le Centre d’excellence pour la santé féminine ont élaboré conjointement un modèle proprement canadien fondé sur quatre niveaux d’interventions axés sur la prévention, où chaque niveau fait fond sur le niveau précédent. Puisque le temps ne me permet pas de parler en détail de leur travail extraordinaire, je vais simplement faire un survol des niveaux d’intervention, de prévention et de traitement de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

En résumé, le premier niveau d’intervention comprend la sensibilisation aux risques de la consommation d’alcool pendant la grossesse et l’autonomisation des femmes et des collectivités, à qui on fournit les renseignements nécessaires pour prendre des décisions. Il peut s’agir de campagnes médiatiques nationales, de l’élaboration de documents de promotion de la santé, et de production de lignes directrices faciles à comprendre et à obtenir sur la consommation d’alcool à faible risque. Des approches adaptées à la culture et qui tiennent compte des traumatismes sont extrêmement importantes pour les stratégies de la promotion de la santé en milieu communautaire, surtout dans les collectivités autochtones. La sensibilisation accrue est un élément du cadre prévu dans le projet de loi S-253.

Pour ce qui est du deuxième niveau d’intervention, toutes les femmes en âge de procréer doivent pouvoir discuter de la santé génésique, de la contraception, de la grossesse et de la consommation de substances avec leurs prestataires de soins dans un cadre sûr et exempt de jugement. La recherche a souligné l’importance des « interventions brèves en matière de consommation d’alcool », qui sont des conversations collaboratives, souvent informelles, ayant lieu entre les femmes et leurs prestataires de soins de santé et pouvant donner l’occasion de discuter ouvertement de la consommation d’alcool et d’autres facteurs de risque qui ne sont pas forcément évidents au premier coup d’œil.

Ces interventions peuvent être le point de départ d’un changement durable en mettant les femmes en contact avec les services de soutien dont elles ont besoin. Elles sont appréciées par les professionnels de la santé, car elles sont considérées comme moins teintées de préjugés que le dépistage de la consommation d’alcool et elles offrent la possibilité d’aborder des questions liées à la consommation de substances, telles que le bien-être mental et la violence fondée sur le sexe.

Il est essentiel que ces conversations se déroulent sans jugement, car les facteurs qui poussent les femmes à boire peuvent être très complexes. Ils sont souvent liés à un certain nombre de déterminants sociaux de la santé. Les préjugés associés à la consommation d’alcool pendant la grossesse peuvent empêcher les femmes de chercher du soutien. Il est donc important que les femmes puissent participer à ces interventions et aux traitements de suivi sans risquer de perdre la garde de leurs enfants.

Selon une étude menée par la Dre Shimi Kang, professeure à l’Université de la Colombie-Britannique qui a reçu récemment le Prix du gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne », la période prénatale est l’occasion propice pour aider les femmes aux prises avec une dépendance, car lorsqu’elle est enceinte, une femme est plus susceptible de recourir au système de soins de santé et plus encline à s’abstenir de consommer des substances ou à réduire sa consommation. Or, de nombreuses femmes se heurtent à des obstacles tels que la stigmatisation sociale, qui entraîne un sentiment de culpabilité ou de honte, la crainte de perdre la garde de leurs enfants, les préjugés envers les mères toxicomanes, la responsabilité de membres de leur famille qui sont à leur charge, l’inaccessibilité des services de garde d’enfants ou l’absence de moyens de transport.

Les deux tiers des femmes qui se prévalent des services de traitement des dépendances déclarent qu’elles ont des antécédents de violence sexuelle ou de sévices. Quand on y pense, c’est beaucoup. Cela montre la nécessité d’évaluer les mauvais traitements vécus dans le passé par les patients souffrant d’une dépendance pour qu’on puisse ensuite traiter les symptômes liés à leurs traumatismes, ce qui donnerait de meilleurs résultats pour combattre la dépendance et réduirait donc le risque de répercussions négatives sur l’enfant à naître.

Les interventions brèves sont importantes parce qu’elles incarnent l’approche voulant que « toutes les portes sont bonnes » en matière de soins, une approche où les femmes et les filles peuvent accéder à des ressources à n’importe quel moment de leur vie, que ce soit par l’entremise d’un médecin de famille, d’une sage-femme, d’une infirmière, d’un travailleur aidant à lutter contre la violence ou d’un travailleur social. Cela va de pair avec la prévention de la violence entre partenaires intimes.

Les troisième et quatrième paliers incluent un soutien holistique pour les femmes enceintes et les nouvelles mères consommant de l’alcool de manière excessive et souffrant d’autres problèmes de santé et problèmes sociaux. Ils incluent aussi des mesures de soutien au développement de l’enfant. Dans le cadre d’une étude sur les programmes les plus efficaces pour les femmes enceintes à risque, les chercheurs ont remarqué que les meilleurs résultats étaient obtenus quand les facteurs suivants sont réunis : la satisfaction des besoins fondamentaux comme la nourriture et le logement; l’accès à un logement supervisé; ainsi que la prestation de services d’aide sociale à l’enfance, de services de soutien en toxicomanie, de services de soutien en cas de traumatisme et en cas de violence, et de services de santé pour les femmes, y compris un soutien parental, des programmes culturels, des soins prénataux et postnataux et des liens entre pairs.

Chers collègues, ces interventions sont au cœur des déterminants sociaux de la santé. Elles peuvent constituer une base solide pour la santé future des enfants atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale parce que les mères en bonne santé sont plus susceptibles de participer aux soins de leurs enfants, de suivre le traitement prescrit et de nouer des relations plus saines avec leurs enfants. On met d’ailleurs l’accent sur l’établissement de relations plus saines et la cohésion familiale dans le document Towards Healthy Outcomes for Individuals with FASD rédigé par l’équipe d’intervention du Réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Les enfants ayant un détachement émotionnel à cause de leurs troubles sont plus susceptibles d’en souffrir plus tard dans leur vie. Un sentiment de stabilité et de sécurité ainsi qu’une grande cohésion familiale peuvent donc les protéger. Le document en question propose aussi une foule d’interventions efficaces que le comité pourrait étudier plus en profondeur.

Malgré tout ce qu’on sait sur l’intervention précoce, pourquoi des parents et des enfants ont-ils encore des difficultés à composer avec les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale? Comme le sénateur Ravalia l’a bien expliqué, les normes et les ressources prévues pour composer avec ces troubles varient selon les provinces et les territoires. Il y a 73 cliniques de diagnostic au Canada, mais il n’y en a aucune dans les régions rurales, et elles ne sont pas réparties également sur le territoire.

Par ailleurs, pour bien des gens, il est encore difficile d’obtenir un diagnostic en raison du manque de ressources consacrées aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Certains parents pourraient craindre de recevoir un diagnostic en raison des préjugés associés à la consommation d’alcool pendant la grossesse.

Dans ma province, le Nouveau-Brunswick, nous avons la chance d’avoir accès au Centre d’excellence en trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, qui se trouve à Dieppe. Ce centre offre notamment une foule de services de prévention, de diagnostic, d’intervention et de soutien, et on s’efforce plus particulièrement de répondre aux besoins et aux traumatismes des mères. Le centre dessert maintenant 800 familles par année. Il est considéré comme un modèle d’excellence au Canada, mais plus de 300 familles de ma région attendent toujours un diagnostic, et bien d’autres encore ne peuvent même pas obtenir une évaluation en raison de circonstances indépendantes de leur volonté. Tout cela pour dire que, étant donné que, selon les estimations, plus de 4 000 jeunes au sein du système scolaire de notre région sont atteints de troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, et que la plupart n’ont toujours pas reçu de diagnostic, il est évident que les ressources ne répondent pas aux besoins.

Chers collègues, il existe énormément de recherches sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale et des pratiques exemplaires fondées sur des données probantes ont été mises en œuvre de diverses façons partout au Canada. Il y a peut‑être d’autres questions à explorer, comme le rôle du père ou du partenaire masculin dans ce dossier. J’espère que le comité portera une attention particulière aux déterminants sociaux de la santé pour les mères, les enfants et la famille, et j’espère que l’étude sera étayée par une analyse comparative entre les sexes et qu’elle tiendra compte des nombreux facteurs qui se recoupent et qui mènent à l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

Les déterminants sociaux de la santé sont au cœur de la prévention et des interventions à vie et ils ont une énorme incidence sur les modèles de traitement qui ont vu le jour. Le projet de loi S-253 peut fournir un cadre sur lequel nous pouvons nous appuyer, à titre de mesure de réconciliation et de santé publique, pour guider les pratiques exemplaires en matière de prévention, de diagnostic et d’intervention dans l’ensemble du Canada.

J’ai hâte à la prochaine étape, qui consiste à renvoyer le projet de loi S-253 au comité pour une étude plus approfondie. Merci.

(1610)

Des voix : Bravo!

L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour exprimer mon appui au projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

Je commencerai par exprimer mes sincères remerciements à mon ami le sénateur Ravalia, à son équipe et à mon propre personnel pour leur travail et leurs efforts sur ce projet de loi, ainsi qu’à mes collègues qui ont parlé de cette initiative avant moi. Ils ont mentionné avec éloquence les répercussions de l’alcoolisation fœtale et les données montrant l’ampleur des défis à relever. Je vous remercie également, chers collègues, de la patience dont vous avez fait preuve pendant que je rassemblais mes idées pour prendre la parole.

Ma compréhension de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale a évolué depuis les presque 30 ans que je m’intéresse à cette question. En 1998, ma collègue de l’opposition au Yukon, la députée territoriale Sue Edelman, porte-parole en matière de santé, a donné avis à l’Assemblée législative du Yukon d’une motion qui se lisait en partie comme suit :

QU’il est de l’avis de cette Chambre :

1) qu’il n’existe aucun nombre précis ou approximatif de Yukonnais souffrant du syndrome d’alcoolisme fœtal ou des effets de l’alcool sur le fœtus;

2) que le syndrome d’alcoolisation fœtale et les effets de l’alcool sur le fœtus sont totalement évitables si les parents ne boivent pas d’alcool pendant la grossesse;

3) qu’il y a peu ou pas de soutien pour les familles et ceux qui souffrent du syndrome d’alcoolisation fœtale et des effets de l’alcool sur le fœtus une fois qu’ils ont quitté le système d’éducation — et c’est particulièrement vrai dans les régions rurales du Yukon [...]

La motion demandait ensuite au gouvernement du Yukon de fournir un soutien aux interventions précoces et aux programmes prénataux destinés à prévenir le syndrome d’alcoolisation fœtale et les effets de l’alcoolisation fœtale. De plus, elle a exhorté le gouvernement à :

[...] permettre aux enfants affectés de mener une vie heureuse et productive dans notre société en les préparant adéquatement à la vie scolaire et en fournissant à leur famille des moyens d’aider ces enfants spéciaux, puis en examinant les écarts entre les services aux jeunes et aux adultes [...] en utilisant nos ressources judicieusement en coordonnant les services offerts aux personnes souffrant du syndrome d’alcoolisation fœtale et des effets de l’alcoolisation fœtale ainsi qu’à leur famille.

Comme les honorables sénateurs peuvent le constater, le langage a changé depuis cette époque. Le syndrome d’alcoolisation fœtale et les effets de l’alcoolisation fœtale sont maintenant les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, ce qui tient compte des nombreux symptômes et troubles associés à l’alcoolisation fœtale.

Quand je faisais partie du gouvernement, j’avais la possibilité de donner suite à la motion, j’ai donc porté la question à l’échelon national. Avec l’appui de Ralph Klein, qui était premier ministre de l’Alberta à l’époque, et à la demande du gouvernement du Yukon, la Commission albertaine contre l’alcool et les toxicomanies a procédé à un examen exhaustif des services et des programmes en matière d’alcoolisme et de toxicomanie offerts par le Yukon. Le gouvernement yukonnais a notamment adopté une approche plus dynamique et proactive à l’égard de la stratégie territoriale sur le syndrome d’alcoolisation fœtale et les effets de l’alcoolisation fœtale en considérant que la prévention est la seule forme de traitement. Nous avons poursuivi notre travail avec nos voisins au sud et à l’ouest en organisant la conférence des Prairies et du Nord sur le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Honorables sénateurs, un quart de siècle plus tard, je parle du même sujet, mais avec une terminologie différente. Malheureusement, les statistiques — selon ce que nous en savons — demeurent les mêmes, perdurant, voire augmentant, alors que cette situation est entièrement évitable. Les politiciens, même ceux qui déploient des efforts remarquables depuis longtemps, y consacrant beaucoup de temps, auraient pu baisser les bras sous le poids du découragement. Heureusement, nous avons gardé espoir et nous continuons d’avancer. La version actuelle du projet de loi témoigne de notre détermination.

Des progrès ont été réalisés au cours des 25 dernières années, et j’aimerais vous faire part de certaines réalisations. Au Yukon, par exemple, les progrès accomplis sont encourageants. En 2019, le gouvernement du Yukon a mis sur pied le plan d’action du gouvernement du Yukon relatif aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Toutefois, la pandémie a considérablement ralenti la réalisation de progrès à l’égard du plan.

En janvier 2021, dans le cadre de la relation de gouvernement à gouvernement, le Conseil des Premières Nations du Yukon a embauché une personne qui assure la coordination du plan d’action relatif à l’ensemble de ces troubles. Cette personne travaille en étroite collaboration avec la directrice de la Fetal Alcohol Syndrome Society Yukon. La directrice m’a récemment présenté un compte rendu de leurs activités. À ce jour, les comités qui ont été créés dans le cadre du plan d’action relatif aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale portent sur la sensibilisation, la prévention et le diagnostic. Il y a aussi le comité interorganisations. Le comité sur l’échange du savoir devrait voir le jour avec l’avancement des travaux. Les groupes espèrent pouvoir créer un comité de soutien aux familles, composé des aidants des personnes atteintes de ces troubles, ainsi qu’un comité d’évaluation.

La Fetal Alcohol Spectrum Society du Yukon et le Conseil des Premières Nations du Yukon distribueront aussi plus de tests de grossesse à Whitehorse et dans les diverses communautés. Ces tests seront disponibles gratuitement dans les bars et dans les pavillons de l’Université du Yukon, laquelle a des campus dans la plupart des communautés du territoire. L’information sera aussi diffusée au moyen d’affiches placées dans les cabinets de médecins.

Comme me l’a dit la coordonnatrice de ce dossier au sein du Conseil des Premières Nations du Yukon : « Avec le battage publicitaire, on finira par faire passer le message qu’il vaut mieux ne pas consommer d’alcool pendant la grossesse. »

Honorables sénateurs, ce message se trouve aussi dans une autre mesure législative dont nous sommes saisis, le projet de loi S-254 présenté par le sénateur Brazeau. Je remercie le sénateur Brazeau, la sénatrice Miville-Dechêne et les autres personnes qui ont souligné l’importance d’initiatives yukonnaises axées sur l’ajout d’avertissements sur les contenants de boissons alcoolisées. Je reviendrai davantage sur ces initiatives à une autre occasion.

Honorables sénateurs, le Yukon a aussi été la première administration au Canada à répondre de façon exhaustive à l’enquête sur les femmes et les filles autochtones portées disparues ou assassinées. La stratégie du Yukon intitulée Changer la donne pour défendre la dignité et la justice : la Stratégie du Yukon sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles+, adoptée en 2020, mentionne spécifiquement les troubles de l’alcoolisation fœtale :

[la] mise en œuvre [de la Stratégie] exigera des efforts coordonnés. Les femmes, les filles et les personnes bispirituelles+ qui sont atteintes de troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) ou d’autres handicaps seront pleinement intégrées et prises en compte.

La coordinatrice m’a également indiqué qu’au cours des six derniers mois, le nombre de bénéficiaires aidés par la Fetal Alcohol Spectrum Society est passé de 69 à 84 personnes. Elle estime que ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Si l’association parvient à éliminer les préjugés à l’égard de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale et à éduquer les gens à ce sujet, les chiffres devraient augmenter au fur et à mesure que les gens seront informés de l’existence de ses services.

Le Yukon est également passé de la parole aux actes, car il a consacré des fonds à l’ensemble de ces troubles. Les documents budgétaires de 2021 indiquent que la Fetal Alcohol Spectrum Society a reçu près de 800 000 $ de financement, ce qui inclut le financement du comité interorganisations.

Au niveau national, depuis ces discussions au Yukon — il y a plus de 20 ans —, le réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, créé en 2013, a pris de l’ampleur. L’intention initiale du réseau était d’augmenter la quantité de recherche sur l’ensemble de ces troubles dans les provinces et les territoires dans le cadre du partenariat sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale dans le Nord-Ouest du Canada.

Les résultats ont largement dépassé les objectifs stratégiques et, aujourd’hui, le réseau est présent partout au Canada. Il soutient tous les intervenants, en trouvant des moyens innovateurs et pratiques d’aider les personnes atteintes de ces troubles, leurs familles et leurs soignants, et en aidant les pouvoirs publics, ainsi que les praticiens et les établissements d’enseignement, à réaliser et à diffuser des recherches et des connaissances fondées sur des données probantes.

Un autre exemple d’intervention a été souligné par notre collègue le sénateur Colin Deacon, c’est-à-dire le Strongest Families Institute, basé en Nouvelle-Écosse. Il offre aussi des services de soutien au Yukon. Cette initiative est véritablement mise en œuvre d’un océan à l’autre.

Honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas souligner les efforts des bénévoles de la Fetal Alcohol Syndrome Society du Yukon, et surtout les efforts d’une bénévole en particulier, Judy Pakozdy. Cette personne milite depuis des années pour la cause des personnes atteintes des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Elle fait de la sensibilisation au Yukon, elle travaille avec des personnes affectées, elle leur offre du soutien et elle les accompagne. Cette femme franche et directe a payé elle-même des publicités dans les journaux pour faire de la sensibilisation et pour exhorter les gouvernements à intervenir. Les publicités ont été publiées alors que nous allions nous rassembler le neuvième jour du neuvième mois pour souligner la journée de sensibilisation aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Lors d’événements publics, elle m’a exposé les choses très clairement. Elle a dit : « Nous ne voulons pas d’autres discours. Nous ne voulons pas d’autres plans. Ce qu’il nous faut, c’est de l’argent et des mesures concrètes. »

L’adoption du projet de loi fait partie des mesures que le Sénat peut prendre pour répondre à la demande de Judy. Pour ce qui est de l’argent, ce n’est pas aussi simple. Comme nous le savons tous, le Sénat ne peut pas proposer l’affectation de fonds ou exiger que le gouvernement dépense de l’argent.

Aujourd’hui, j’aimerais parler des mesures qui sont proposées.

Le projet de loi dont nous sommes saisis propose de mettre en place une stratégie nationale, un cadre pour coordonner nos efforts de lutte contre les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Comme l’a dit dans son discours le sénateur Ravalia, le parrain du projet de loi, celui-ci prévoit des mesures pour normaliser les lignes directrices, améliorer les outils de diagnostic et de signalement des données, élargir la base de connaissances, faciliter l’échange d’informations et accroître la sensibilisation du public et des professionnels, entre autres. Le projet de loi est une mesure précise que nous, les sénateurs, pouvons prendre en réponse à la demande de Mme Pakozdy. Le projet de loi du sénateur Ravalia est un pas important dans la bonne direction et peut-être le pas le plus grand et le plus résolu que le Sénat du Canada puisse prendre.

(1620)

Aujourd’hui, j’aimerais fortement encourager les sénateurs à franchir ce pas, à marcher ensemble, à soutenir la communauté touchée par les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et de demander au gouvernement d’adopter un cadre national. Merci. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénateur Boisvenu, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.

L’honorable Michèle Audette : [Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime dans une langue autochtone.]

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.

Avant d’y arriver, j’ai fait mes devoirs afin de comprendre cette définition et de savoir d’où elle vient. Ce que j’en comprends, c’est que cela désigne, selon Robert Bullard, qui est le père de la justice environnementale, et je cite :

[...] l’ensemble des politiques, des pratiques et des directives environnementales qui ont des conséquences négatives disproportionnées, qu’elles soient intentionnelles ou non, sur certaines personnes, certains groupes ou certaines communautés en raison de leur race ou de leur couleur.

En faisant cet exercice, je comprends, selon ce qu’a mentionné Mme Elizabeth May lorsqu’elle a prononcé son discours à l’étape de la deuxième lecture de ce projet de loi, et je cite :

Une des leçons que j’ai apprises en nettoyant les étangs bitumineux de Sydney avec Mme Yakimchuk, c’est que nous pouvons reconnaître que les produits chimiques toxiques ne font pas de discrimination. Ils ne prêtent pas attention à la couleur de notre peau lorsqu’ils se logent dans notre corps, lorsqu’ils traversent le placenta pour se rendre jusqu’aux enfants, lorsqu’ils provoquent des cancers et lorsqu’ils causent des malformations congénitales. Ils ne se soucient pas de la couleur de notre peau. Cependant, la politique publique qui expose beaucoup plus souvent les peuples autochtones et les communautés de couleur à des produits chimiques toxiques tient compte de la couleur de la peau. Elle remarque si nous sommes marginalisés ou non. Elle remarque si nous avons de l’argent ou pas.

Chez les premiers peuples, le racisme environnemental se vit depuis la doctrine de la découverte, qui est née de la bulle Romanus Pontifex de 1455.

Selon l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, cette doctrine — relative au concept plus ancien de terra nullius — a consacré le principe selon lequel tout monarque chrétien qui découvre des terres non chrétiennes a le droit de les proclamer siennes, car elles n’appartiennent à personne.

Cela aura pris 568 ans avant que le Vatican répudie ladite doctrine de la découverte. Vous comprendrez que cela représente un pas de plus vers la réconciliation, un pas important.

Cependant, aujourd’hui, en 2023, le pillage des terres et des ressources est encore réel, tout comme l’enclavement ou le confinement des réserves. Les dommages et les impacts néfastes se font sentir depuis et encore aujourd’hui.

Le racisme environnemental est aussi à l’origine de l’appauvrissement des communautés, de la perte de notre culture et de nos us et coutumes. Ce racisme environnemental a aussi participé à dégarnir notre garde-manger.

Le racisme environnemental participe également à la création de projets miniers sans la participation ou l’accord des communautés, et il pollue l’environnement de ces communautés, leur faune, leur flore et leurs cours d’eau.

Mon chez-moi, Matimekush-Lac-John, Schefferville, comporte le plus grand 18 trous au monde — attention, on ne parle pas de golf, mais plutôt de trous miniers. Dans cette même communauté, M. Conrad André donnait ce témoignage, dans un article publié le 8 juin 2022 sur le site Internet de Radio-Canada, et je cite :

Comment ça se fait que la minière IOC fasse des milliards, mais qu’il n’y ait pas un seul Innu millionnaire ici?

Dans cette même communauté, Mathieu André, un Innu né à 50 kilomètres au nord-ouest de Schefferville a découvert, dans les années 1930, le premier gisement de fer aux environs du lac Knob.

Cette découverte a entraîné en partie le début de la ruée vers le fer dans la région frontalière du Labrador et du Québec. M. Mathieu André est maintenant au pays du Caribou, mais son fils Luc raconte que, après la découverte de son père, Labrador Mining a pu exploiter le territoire en promettant à la population et aux Innus un pourcentage des bénéfices qu’elle tirerait des gisements.

Cependant, il a affirmé, et je cite :

On n’a jamais rien reçu. On a rencontré la minière, et on a fini par nous dire que s’ils devaient donner quelque chose à l’un, il faudrait donner à tout le monde.

[Traduction]

En Ontario, la Première Nation Aamjiwnaang est entourée de 50 installations industrielles dans un rayon de 24 kilomètres autour de son territoire. Ses membres sont exposés de manière disproportionnée à des substances toxiques comme le dioxyde de soufre, le benzène, le mercure et d’autres. Janelle Nahmabin, 30 ans, présidente du comité local sur l’environnement, se dit de plus en plus frustrée de voir sa communauté assumer les risques sanitaires des industries présentes dans la région :

À vrai dire, nous sommes là depuis des millénaires, depuis toujours. J’en ai assez que nous soyons constamment obligés de nous adapter. J’en ai assez de devoir compromettre notre santé, notre bien-être mental et notre sécurité pour les autres.

Elle ajoute que l’asthme et d’autres problèmes respiratoires, ainsi que les éruptions cutanées, les maux de tête et les taux élevés de cancer figurent parmi les problèmes de santé les plus répandus dans la réserve.

À Shelburne, en Nouvelle-Écosse, selon une entrevue de CBC réalisée avec Louise Delisle, une résidante de Shelburne, l’histoire de la communauté en matière de cancer, de maladie et de décès est liée à la décharge de déchets industriels et parfois même médicaux qui se trouve à proximité. Mme Delisle a dit :

La majorité des hommes noirs de la communauté sont morts d’un cancer [...] Il y a une communauté de veuves à Shelburne. Voilà de quoi il s’agit.

Nous avons également trouvé une carte établie par le projet ENRICH, qui traite de la nocivité environnementale, des inégalités raciales et de la santé communautaire, montrant que des dizaines de sites d’enfouissement se trouvent à proximité de communautés noires ou de populations autochtones. La carte inclut également des dizaines d’histoires semblables à celle de Shelburne : nous pouvons y voir une décharge et un abattoir qui ont été construits près d’Africville, à Halifax, à la fin des années 1700, un étang à eaux résiduaires d’une usine de pâtes et papiers près de la Première Nation de Pictou Landing et d’autres sites d’enfouissement près de la communauté noire de Lincolnville, du comté de Guysborough.

(1630)

Mme Ingrid Waldron, qui a aussi coproduit le documentaire There’s Something in the Water, a dit ce qui suit :

Ce n’est pas seulement une question de santé et de stress. C’est une question d’absence de pouvoir : le fait de placer certaines industries dans certaines communautés sans les consulter. On les a privées de leur pouvoir, de leur voix. Ces industries sont implantées dans des communautés qui sont racisées, mais également pauvres.

[Français]

La Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, au Québec, que l’on a pointée du doigt pour avoir rejeté 23 contaminants dépassant des niveaux acceptables, compte maintenant agrandir une zone tampon. Deux cents habitations seront démolies et les gens qui y habitent devront se relocaliser — on parle ici de familles, d’enfants, de Québécois et de Québécoises et bien d’autres. Pourquoi? Parce que la fonderie bénéficie d’une exemption de la norme québécoise d’émission d’arsenic dans l’air, car elle était en exploitation bien avant l’entrée en vigueur de ces normes environnementales.

Doit-on rappeler que les jeunes enfants de cette région ont une concentration d’arsenic quatre fois plus élevée dans leurs ongles? Faut-il rappeler qu’en 1940, toujours dans la même région, la baignade était interdite dans le lac Osisko, entre Noranda et Rouyn? En 1979, le gouvernement du Québec a été averti des dangers que posait la Fonderie Horne pour les enfants, qui avaient dans les cheveux des taux d’arsenic deux à trois fois plus importants dans le quartier Notre-Dame.

[Traduction]

Les mêmes problèmes ont été soulevés dans Médecin de famille canadien, le journal officiel du Collège des médecins de famille du Canada, en août dernier. Voici le résumé de l’article :

Vous êtes médecin de famille suppléant dans le Nord-Ouest ontarien. Votre prochain patient est un enfant de 6 ans qui souffre de fatigue chronique et de paresthésie aux extrémités. À l’examen physique, vous découvrez aussi une déficience auditive bilatérale. Vous vous rappelez avoir lu dans les médias que 10 000 kg de mercure avaient été déversés il y a plusieurs années dans la rivière Wabigoon, polluant ainsi l’eau en aval et empoisonnant le poisson qui sert de subsistance à des collectivités comme celle de la Première Nation [de] Grassy Narrows [...] En plus de prescrire d’autres tests, vous procédez à un dépistage du mercure par analyse d’urine sur 24 heures, qui confirme que les concentrations de mercure sont anormales. Comment traitez-vous ce patient? Comment réagissez-vous à ce problème sur le plan communautaire? Dans quelle mesure prenez-vous en compte l’environnement, l’histoire et les facteurs économiques qui ont contribué aux problèmes que présente ce patient?

C’est ainsi même si nous savons que les communautés autochtones sont souvent les plus touchées lors des plus grandes catastrophes, comme les deux déversements de pétrole en Alberta l’an passé. Des mois se sont écoulés avant que les Premières Nations en soient informées.

[Français]

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones contient les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones dans le monde et elle doit être mise en œuvre au Canada.

Une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental doit absolument s’enraciner dans cette déclaration et porter la voix des gardiennes et des gardiens originaux de ces terres.

[Traduction]

D’autres solutions intéressantes sont présentées par les auteurs de l’article dans Le Médecin de famille canadien, dont la stratégie devrait tenir compte :

D’abord, en tant que professionnels de la santé et Canadiens, nous devons nous informer au sujet de la véritable histoire du Canada. Deuxièmement, nous devrions prendre conscience de l’existence du racisme environnemental dans notre pays et, comme il est énoncé dans CanMEDS-Médecine familiale : Document d’accompagnement sur la santé autochtone, nous devons « plaider fortement auprès des systèmes dans lesquels [nous travaillons] pour modifier les processus et les politiques racistes ». Nous savons que les communautés racialisées sont affectées de manière disproportionnée par les dangers environnementaux et que cela comporte des répercussions profondes sur la santé. Si nous voulons aborder la santé dans une perspective proactive et préventive, nous devons plaider pour les changements durables et écouter les voix des personnes touchées.

[Français]

L’éducation, la voix du public dans la prise de décision en matière environnementale, l’autodétermination des communautés en matière d’eau et de production alimentaire, la distribution des logements, l’énergie, les transports, une charte des droits environnementaux doivent également s’inscrire dans une telle stratégie.

Bref, le racisme environnemental est bien réel au Canada. Comme l’a déclaré l’Organisation des Nations unies, un environnement sain est un droit. Donnons-nous donc les moyens de contrer le racisme environnemental et de nous faire progresser vers la justice environnementale.

Je vous le dis encore une fois : nous ne pouvons pas changer l’histoire, mais nous sommes en mesure et nous sommes responsables de changer notre présent, d’adopter une attitude plus responsable pour réparer les erreurs du passé et d’écrire ensemble un nouveau chapitre.

Merci, madame la sénatrice, de nous avoir proposé de tenir ce débat. Bien sûr, j’appuie ce projet de loi. Ensemble, je sais que nous avons le pouvoir de changer de petites et grandes choses.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Bernard, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable David M. Wells propose que le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en qualité de parrain au Sénat du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, qui a été présenté à l’autre endroit par le député Ben Lobb le 7 février 2022.

Ce projet de loi a récemment été adopté à l’autre endroit avec le soutien du Bloc québécois, des conservateurs et des néo‑démocrates, ainsi que de quelques députés libéraux. Il s’agit véritablement du fruit d’une collaboration entre les partis et d’une mesure législative dont on a grand besoin.

L’objectif de ce projet de loi est très simple : il s’agit de créer des exemptions supplémentaires à la taxe sur le carbone pour les pratiques agricoles essentielles telles que le séchage des céréales, le chauffage et le refroidissement des étables et des serres, le floconnage et l’irrigation.

Lors de son adoption en juin 2018, la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre a imposé une redevance sur les carburants fossiles comme l’essence et le gaz naturel. Cette redevance est applicable dans toutes les provinces et tous les territoires qui n’ont pas leur propre système de tarification du carbone approuvé par le gouvernement fédéral. Cela comprend actuellement l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario, le Yukon et le Nunavut. Le 1er juillet de cette année, les provinces de l’Atlantique seront également ajoutées à cette liste.

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, exempte déjà de la taxe sur le carbone l’essence et le diésel que les agriculteurs utilisent dans leurs pièces d’équipement agricole admissibles, telles que leurs camions et leurs tracteurs. En outre, la loi prévoit une exemption pouvant atteindre 80 % de la taxe sur le carbone pour le gaz naturel et le propane utilisé pour chauffer une serre admissible.

Par contre, ce que la loi actuelle ne prévoit pas, c’est une exemption pour le gaz naturel ou le propane utilisé pour les activités agricoles telles que faire fonctionner les séchoirs à grains et chauffer les étables. Il s’agit d’une grave omission que le projet de loi C-234 vise à rectifier.

Chers collègues, comme nous le savons tous, le gaz naturel est un carburant de transition. Comme l’a dit le député libéral de Kings—Hants, en Nouvelle-Écosse, Kody Blois, à l’autre endroit :

[...] lors de l’élaboration de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, il semble que l’on n’ait pas nécessairement beaucoup pensé au séchage des céréales et, en particulier, au chauffage des bâtiments abritant le bétail. C’est exactement ce que ce projet de loi tente de changer: sa portée serait élargie à ce qu’un certain nombre de décideurs considèrent comme un léger oubli au moment de la rédaction initiale de la Loi qui a instauré la tarification du carbone.

Comme le savent les sénateurs, le but de la taxe sur le carbone est de fournir, au moyen de la tarification, un incitatif économique pour amener les gens à modifier leur consommation d’énergie et à faire la transition des combustibles fossiles vers des sources d’énergie durables. Or, lorsqu’il est question d’agriculture, cela pose un certain nombre de problèmes.

(1640)

D’abord, les agriculteurs n’ont pas de source viable d’énergie de rechange pour leurs activités agricoles. C’est un fait qui est bien connu, comme l’a souligné le député néo-démocrate Alistair MacGregor au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes. Il a affirmé ceci :

Nous savons que la tarification du carbone est là pour encourager un changement de comportement, mais elle ne fonctionne pas très bien s’il n’y a pas d’autres solutions commercialement viables.

Il s’agit du premier fait fondamental qui met en évidence l’importance du projet de loi C-234 : à l’heure actuelle, la loi pénalise les agriculteurs pour des choses sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Ils ne peuvent pas se passer des combustibles fossiles parce qu’il n’existe encore aucune solution de rechange. Les agriculteurs s’en trouvent pénalisés, et cette situation est fondamentalement injuste.

Il est cependant reconnu que l’absence de solutions fondées sur les énergies renouvelables pour les agriculteurs ne devrait pas perdurer. Des recherches et du développement sont déjà en cours concernant les sources d’énergie renouvelables pour la production agricole comme la biomasse et les énergies géothermique, hydroélectrique, solaire et éolienne. Même si ces solutions n’en sont pas encore au stade du développement où elles pourraient remplacer l’utilisation des combustibles fossiles à la ferme, elles y arriveront un jour.

C’est pourquoi le projet de loi comporte une disposition de caducité de huit ans, en vertu de laquelle les modifications apportées à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre par le projet de loi C-234 seront automatiquement abrogées au huitième anniversaire de l’entrée en vigueur de ce dernier, ramenant ainsi la loi à son état actuel. Cependant, si le gouvernement au pouvoir estime que ces modifications ne doivent pas être abrogées, la mesure législative permet aux deux Chambres du Parlement de débattre du prolongement de celles-ci, et de voter à ce sujet. Cela éviterait ainsi de devoir étudier de nouveau une mesure législative similaire si on juge, à ce moment-là, que l’exemption de la taxe sur le carbone pour les carburants agricoles est toujours nécessaire.

La deuxième raison pour laquelle la taxe sur le carbone nuit particulièrement aux exploitations agricoles est liée au fait que les agriculteurs sont des preneurs de prix, pas des faiseurs de prix. C’est une réalité bien connue depuis longtemps : les agriculteurs doivent vendre leur production au prix du marché en vigueur et sur lequel ils n’ont aucun contrôle. Si leurs dépenses augmentent, ils ne peuvent pas les répercuter. Ils doivent les absorber. C’est la réalité à laquelle les agriculteurs sont confrontés aujourd’hui en l’absence d’exemptions suffisantes pour le secteur de l’agriculture en vertu de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Comme l’a indiqué Yves Perron, député du Bloc québécois :

S’il n’y a pas de solution de rechange, cela veut dire que, présentement, si on impose une taxe relativement à ces processus, cela ne fera qu’augmenter le coût de production et réduire les marges bénéficiaires des producteurs, qui n’ont pas d’autres options.

Chers collègues, telle est la réalité des exploitations agricoles situées dans les provinces et les territoires auxquels s’appliquent le filet de sécurité fédéral. Les agriculteurs et les éleveurs ont besoin de propane ou de gaz naturel pour sécher le grain, pour irriguer leurs terres ainsi que pour chauffer ou climatiser leurs granges et leurs serres, afin de nourrir les Canadiens et de stimuler notre marché d’exportation. Pourtant, ils ne peuvent pas refiler le coût de la taxe sur le carbone aux consommateurs, et ils doivent absorber les dépenses supplémentaires.

En avril 2022, le directeur parlementaire du budget a estimé que la taxe sur le carbone appliquée au gaz naturel et au propane utilisés dans le secteur agricole de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario coûterait 235 millions de dollars aux producteurs agricoles de 2020-2021 à 2024-2025. Au cours de la prochaine décennie, cette somme atteindra 1,1 milliard de dollars. Cela a été corroboré par des études menées par de nombreuses organisations agricoles.

Selon les calculs de l’association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, la taxe sur le carbone, à 50 $ la tonne, coûtera aux agriculteurs entre 13 000 $ et 17 000 $ par année, ce qui équivaut à une baisse de 12 % du revenu net. À 170 $ la tonne, elle estime que la taxe sur le carbone coûtera aux producteurs de grains 12,52 $ l’acre d’ici 2030.

L’organisme Keystone Agricultural Producers a indiqué que les producteurs du Manitoba ont payé 1,7 million de dollars en taxe sur le carbone liée au séchage des céréales en 2019.

Par exemple, un producteur qui cultive 250 acres de maïs dépense 33 664 $ en propane pour sécher sa récolte et la taxe sur le carbone ajoute 1 043 $ à sa facture de carburant; un éleveur de poulets qui a chauffé un poulailler du 24 octobre 2019 au 21 janvier 2020 a dépensé 5 935 $ en gaz naturel et la taxe sur le carbone a ajouté 1 300 $ à sa facture de carburant, ce qui représente 22,16 %.

L’organisme Grain Farmers of Ontario a fait remarquer que, selon la loi actuelle, le crédit d’impôt représente moins de 20 % du coût de la taxe sur le carbone. Il estime que lorsque la taxe sur le carbone atteindra 170 $ la tonne, certains agriculteurs pourraient payer de 50 000 $ à 70 000 $ rien qu’en taxe sur le carbone.

Selon les calculs de la Canadian Canola Growers Association, la taxe sur le carbone de 50 $ la tonne a coûté 52,1 millions de dollars à son industrie en 2022 et la taxe sur le carbone de 170 $ la tonne lui coûterait 277,9 millions de dollars en 2030. Le coût cumulatif de la taxe sur le carbone s’élèverait à 1,429 milliard de dollars pour l’industrie entre 2022 et 2030.

Chers collègues, le coût des intrants est la principale dépense des exploitations agricoles canadiennes. Les agriculteurs et les éleveurs font déjà preuve de discernement dans leur utilisation du gaz naturel et du propane à la ferme. Les surtaxes liées au carbone sur ces carburants ne font que réduire les ressources financières dont disposent les producteurs pour investir dans des mesures efficaces qui réduisent les coûts et les émissions, telles qu’un séchoir à grains plus efficace, de l’équipement agricole de précision, des panneaux solaires, des appareils d’éclairage à DEL, des échangeurs de chaleur pour les granges ou des digesteurs anaérobies, pour n’en nommer que quelques-uns.

N’oubliez pas, chers collègues, que dans le Sud de l’Alberta en particulier, où les exploitations agricoles sont nombreuses, il peut faire -40 degrés Celsius en hiver et 40 degrés Celsius en été. Le carburant peut être utilisé non seulement pour le chauffage, mais aussi pour le refroidissement, en particulier lorsqu’il y a du bétail.

Il est bien connu que les agriculteurs sont des gardiens de l’environnement et des innovateurs. Ils ont adopté de nouvelles technologies et prouvé leur capacité à réduire continuellement leur empreinte écologique, tout en augmentant leur production et en maintenant leur compétitivité, sans que la tarification du carbone les incite à le faire. Cependant, sans les changements introduits par le projet de loi C-234, la taxe sur le carbone soutirera des centaines de millions de dollars au secteur agricole, réduisant ainsi la capacité des agriculteurs à investir les capitaux considérables nécessaires pour acquérir des innovations et des technologies qui entraînent des gains de durabilité et de productivité.

C’était une conséquence involontaire de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre et le projet de loi C-234 vise à y remédier.

Ce n’est pas la première fois que le Sénat a l’occasion de s’attaquer à cette conséquence involontaire. En 2018, la taxe sur le carbone a été proposée dans la partie 5 de la loi d’exécution du budget, dans le cadre du projet de loi C-74. Or, c’est le Sénat qui a été en mesure de mener une étude approfondie sur les répercussions de cette taxe sur l’agriculture. Malheureusement, cette question n’a pas été abordée, puisque cette mesure législative a été adoptée très rapidement par le Comité des finances dans le cadre d’un projet de loi omnibus.

Par la suite, nos collègues de la Chambre et du Sénat ont tenté de corriger cette omission au moyen du projet de loi C-206, présenté par le député Philip Lawrence. Comme certains d’entre vous s’en souviennent peut-être, notre ancienne collègue, l’honorable Diane Griffin, a également tenté de le faire. Le projet de loi qu’elle a présenté visait à modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, afin de changer les définitions de « machinerie agricole admissible » et de « combustible agricole admissible ».

Chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de remédier à une lacune de la loi qui touche maintenant le cœur de notre système agricole et, essentiellement, de notre approvisionnement alimentaire. Les agriculteurs canadiens sont au centre d’un système agroalimentaire qui contribue à notre économie à hauteur de près de 140 milliards de dollars par année et qui fournit un emploi sur neuf au Canada. L’agriculture est une réussite internationale du point de vue de la productivité et de l’innovation, mais elle a besoin d’un cadre politique qui permet aux exploitations agricoles de prospérer.

Ce projet de loi n’a rien à voir avec le fait que vous soyez ou non en faveur de la taxe sur le carbone. Le Parti conservateur est contre le principe de cette taxe, tandis que le NPD, le Bloc québécois et le Parti vert l’appuient sans réserve. Pourtant, tous ces partis ont voté en faveur de ce projet de loi, de même que quelques députés libéraux, dont le président du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, soit le comité qui a étudié ce projet de loi.

Ce projet de loi n’est pas une question de politique, mais bien d’équité à l’égard des agriculteurs. Il ne vise pas à supprimer la taxe sur le carbone ou à en réduire l’efficacité, mais plutôt à ce qu’elle soit appliquée équitablement et qu’elle ne nuise pas à notre industrie agricole.

Chers collègues, ce projet de loi a une portée étroite et ciblée. Il allonge la liste existante de la « machinerie agricole admissible » de manière à y inclure un bien qui sert au chauffage ou au refroidissement d’un bâtiment ou d’une structure semblable utilisés pour l’élevage ou le logement d’animaux de ferme ou pour la culture de végétaux et le séchage du grain. De plus, il élargit la définition de « combustible agricole admissible » afin d’inclure le gaz naturel commercialisable et le propane.

Ce sont là des changements raisonnables et modérés qui sont grandement nécessaires et qui bénéficient d’un vaste appui dans l’ensemble du secteur agricole. Voici ce que des organisations agricoles de partout au pays ont à dire au sujet de la nécessité et de la valeur du projet de loi C-234 :

(1650)

L’Alliance sur le carbone d’origine agricole est une coalition de 15 organismes agricoles nationaux qui représente 190 000 entreprises agricoles. J’ai été surpris d’apprendre que le Canada comptait autant d’entreprises agricoles. Parmi les membres de cet organisme figurent l’Association canadienne des producteurs de canola, la Fédération canadienne de l’agriculture, l’Association canadienne des bovins, les Producteurs de grains du Canada, le Conseil canadien du porc, les Producteurs de poulet du Canada, les Éleveurs de dindon du Canada, les Producteurs de fruits et de légumes du Canada, les Producteurs d’œufs d’incubation du Canada, l’Association canadienne pour les plantes fourragères, le Réseau ovin national, l’Association nationale des engraisseurs de bovins, les Producteurs laitiers du Canada, l’Association canadienne des producteurs de semences et Mushrooms Canada.

L’Alliance sur le carbone d’origine agricole a déclaré ce qui suit :

En tant que coalition nationale d’organisations agricoles à l’échelle de l’industrie, nous nous attachons à donner la priorité à des solutions pratiques pour que nos producteurs et éleveurs puissent rester compétitifs et utiliser les outils à leur disposition lorsqu’il n’existe pas de sources de carburant de rechange [...] Ce projet de loi apportera un soulagement économique à nos membres, en libérant le fonds de roulement dont ils ont besoin pour mettre en œuvre des innovations environnementales à la ferme.

En adoptant des politiques qui permettent aux producteurs de rester concurrentiels, ils seront en mesure de poursuivre leurs investissements dans la durabilité de leurs opérations, ce qui augmentera le potentiel du secteur à réduire davantage les émissions et à séquestrer le carbone.

La Fédération canadienne de l’agriculture a déclaré ce qui suit :

Les producteurs canadiens travaillent tous les jours à améliorer la durabilité de leurs activités. Cette amélioration continue dépend de la commercialisation de nouvelles technologies viables à la ferme qui s’accompagnent d’importantes dépenses en capital. Le projet de loi proposé permet de s’assurer que les producteurs disposent du capital nécessaire pour faire de tels investissements et continuer à réaliser le potentiel du secteur en tant que fournisseur de solutions climatiques.

Les Producteurs de poulet du Canada ont affirmé ceci :

Les producteurs de poulet du Canada font constamment progresser leurs activités afin d’améliorer la santé et le bien‑être des oiseaux, ainsi que la gestion de l’environnement et la durabilité de la ferme. Grâce à la mise en œuvre de bonnes pratiques de production, les producteurs de poulet prennent des mesures pour assurer la durabilité environnementale de notre secteur pour les décennies à venir. Nous comptons sur nos partenaires au gouvernement et à la Chambre des communes pour fournir un soutien législatif et financier aux producteurs afin que nous puissions continuer à nourrir la population canadienne.

Le Conseil canadien du porc a dit ceci :

Le fait que les coûts de chauffage des granges soient soumis à la tarification du carbone est particulièrement difficile pour les producteurs étant donné qu’ils sont responsables du bien-être de leurs animaux. Dans le climat canadien, les producteurs n’ont pas d’autre choix que de gérer les températures dans les granges pour assurer le bien-être des animaux.

Voici une citation des Producteurs de grains du Canada :

Les producteurs de grains du Canada accueillent favorablement l’introduction de ce projet de loi et se réjouissent des exemptions prévues pour les activités essentielles à la ferme, notamment le séchage des grains. Grâce à cet allégement de la taxe sur le carbone, nos membres producteurs disposeraient de capitaux supplémentaires pour investir dans des technologies novatrices et des pratiques durables qui réduisent les émissions.

Les Producteurs canadiens d’œufs d’incubation ont affirmé ceci :

Les Producteurs canadiens d’œufs d’incubation représentent un segment important de l’industrie avicole. Nos producteurs travaillent fort pour être à l’avant-garde de l’innovation en matière de durabilité tout en s’efforçant d’être efficaces à tout moment. Le projet de loi C-234 apportera le soutien nécessaire aux exploitations agricoles afin d’atténuer les pressions financières et de garantir la disponibilité de capitaux à réinvestir dans nos activités agricoles [...]

La Canadian Canola Growers Association a déclaré ce qui suit :

Les producteurs de canola se sont engagés à assurer un avenir durable et ont établi des objectifs de production pour soutenir cet engagement. J’ai fait des investissements sur ma ferme pour moderniser mon séchoir à grains au gaz naturel et le rendre plus efficace sur le plan énergétique. Bien qu’il s’agisse d’une étape importante, les producteurs d’aujourd’hui ne disposent tout simplement pas de solutions de rechange viables en matière de carburant pour le séchage des grains, d’où l’importance du projet de loi C-234.

C’était une citation de Mike Ammeter, président de la Canadian Canola Growers Association.

Voici ce qu’a dit la Canadian Cattlemen’s Association :

Les producteurs de bœuf et les éleveurs recherchent continuellement des moyens d’améliorer leurs opérations sur le plan environnemental et de contribuer davantage aux objectifs du Canada en matière de changement climatique.

Chers collègues, vous constatez que toutes ces opinions se rejoignent. Les agriculteurs veulent réaliser des économies pour réinvestir ces économies afin d’améliorer leurs systèmes. Le président de la Canadian Cattlemen’s Association poursuit en disant :

Le projet de loi C-234 fournira les exemptions tant attendues pour des pratiques agricoles essentielles, notamment le chauffage et la climatisation des granges et le floconnage.

Les Producteurs de fruits et légumes du Canada :

Les cultivateurs de fruits et légumes canadiens sont déterminés à contribuer aux solutions climatiques mondiales et à la durabilité de leurs activités. Nous croyons que le soutien aux producteurs prévu par le projet de loi C-234 encouragera l’innovation continue et reconnaît que les producteurs ont besoin d’un éventail d’options réalisables en matière de carburant et d’énergie. En fin de compte, l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire, notamment les consommateurs canadiens, en bénéficiera.

Chers collègues, le C-234 est un projet de loi crucial pour les agriculteurs canadiens, qui sont essentiels pour notre approvisionnement et notre sécurité alimentaires. Ce projet de loi s’appuie également sur le soutien multipartite dont a bénéficié le projet de loi C-206 en 2020 et en 2021. Je vous demande, chers collègues, d’appuyer ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture et j’ai hâte d’entendre directement les parties prenantes en comité. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Yuen Pau Woo : Merci, sénateur Wells, pour votre discours. Vous avez soulevé des points importants concernant la nature unique de l’agriculture par rapport à l’utilisation des combustibles fossiles. La valeur d’une taxe sur le carbone est d’autant plus grande qu’elle comporte peu d’exemptions. En ce qui concerne le fait que l’agriculture soit soumise aux prix du marché, je dirais que les prix montent et descendent, bien évidemment. Parfois, les prix mondiaux augmentent au point de permettre aux exploitations agricoles de réaliser des bénéfices exceptionnels, et parfois ils baissent au point de les mettre au bord de la faillite.

Le remède traditionnel à ce type de problèmes en économie est le soutien des prix et des revenus. Pourquoi ne pas envisager ce type de protection plutôt que de bidouiller, si je puis m’exprimer ainsi, autour de la taxe sur le carbone et de créer une exception qui pourrait fausser les mesures incitatives et nous éloigner de notre objectif commun et collectif qui est de réduire les émissions de carbone?

Le sénateur Wells : Merci de cette bonne question, sénateur Woo. Je ne considère pas cela comme une exclusion. C’est plutôt un élargissement des exemptions prévues dans une mesure législative antérieure. Je pense qu’il y a eu un oubli. D’ailleurs, c’est ce qu’a soutenu le président du Comité de l’agriculture de la Chambre des communes, qui a appuyé ce projet de loi à l’autre endroit.

Cela s’inscrit également dans un programme destiné aux agriculteurs. Je ne pense pas que ces derniers veulent des subventions. Ils les accepteraient peut-être si on leur en offre, mais je crois qu’ils souhaitent seulement un plan d’affaires qui fonctionne pour eux et, lorsqu’ils sont admissibles, qu’on les aide à payer les dépenses associées à l’utilisation de combustibles et de processus de rechange, le cas échéant. À l’heure actuelle, il n’y a pas de combustibles ou de processus de rechange. Les agriculteurs peuvent seulement utiliser le gaz naturel et le propane qui, comme vous le savez, sont tous les deux considérés comme des carburants de transition.

Ils souhaitent quelque chose de mieux, mais c’est pour cette raison que le projet de loi comporte une disposition de caducité. Pour être reconduit, il devra d’abord faire l’objet d’un examen. Cette mesure législative n’est pas permanente. Les modifications qu’elle apporte seront automatiquement abrogées après huit ans.

Les agriculteurs, les producteurs et les éleveurs veulent mieux faire. Ils font partie de la solution au problème environnemental. Je pense que l’élargissement de cette exemption ne fera que corriger un oubli survenu dans la mesure législative antérieure.

Le sénateur Woo : Merci de l’explication. Bien sûr, l’élargissement d’une exemption revient à la même chose qu’une exception, mais je comprends que c’est ce que vous souhaitez.

Votre argument selon lequel l’augmentation ou le maintien des marges bénéficiaires des agriculteurs leur permettrait de dépenser les surplus dans des technologies novatrices à moindre intensité carbonique a une certaine logique, mais je crois qu’il faut des incitatifs pour qu’ils le fassent. Rien ne garantit que les agriculteurs utiliseront les surplus, qui sont fongibles, à cette fin en particulier.

Encore une fois, il existe d’autres outils pour encourager les agriculteurs à adopter l’énergie géothermique et solaire, ou d’autres options futures : il faut miser sur des incitatifs directs visant ces technologies.

Pourquoi n’envisageons-nous pas ces autres voies qui sont conformes à l’universalité d’une taxe sur le carbone et qui tiennent compte des fluctuations de revenus et de prix avec lesquelles les agriculteurs doivent inévitablement composer, en plus de se concentrer sur des incitatifs visant certaines technologies de réduction d’émissions de carbone qui pourraient être disponibles dans les prochaines années?

Le sénateur Wells : Je vous remercie de la question, sénateur Woo. Je suis certain que de tels incitatifs existent déjà pour encourager l’adoption d’autres sources d’énergie qui sont carboneutres, comme l’énergie géothermique, solaire ou éolienne, mais nous n’en sommes pas encore là. C’est peut-être possible pour les petites exploitations, mais ce ne l’est pas encore à l’échelle industrielle.

Le Canada, par rapport à la plupart des autres pays, est un chef de file mondial de l’agriculture industrielle. Il s’agit donc d’exploitations à l’échelle industrielle qui ne peuvent pas encore profiter des avantages de l’énergie géothermique et de toutes les autres sources d’énergie futures que l’innovation, les investissements ou d’autres technologies rendront peut-être possibles un jour. Nous devons nous appuyer sur ce qui existe en ce moment. La taxe sur le carbone est relativement nouvelle, et l’industrie ne s’y est pas adaptée.

(1700)

Évidemment, il serait formidable que ces processus industriels soient carboneutres un jour. En ce qui concerne les exploitations agricoles, je ne suis toujours pas d’accord lorsque vous dites qu’il s’agit d’une exclusion, car il y a déjà des exemptions prévues dans le système. Nous devrons convenir que nous ne sommes pas d’accord.

C’est une autre façon d’aider les éleveurs, les producteurs et les agriculteurs à atteindre l’objectif.

L’honorable Denise Batters : Je vous remercie de parrainer ce projet de loi, sénateur Wells. C’est un projet de loi très important pour les gens de ma province, la Saskatchewan, et pour les agriculteurs de l’ensemble du pays.

Les agriculteurs canadiens sont les intendants de nos terres, et ils adoptent des pratiques écologiques extrêmement novatrices depuis des décennies. Ils le font notamment par volonté de préserver les terres, mais aussi pour maintenir les coûts à un faible niveau. J’ai pensé de nouveau à un gazouillis que j’ai publié en 2020 au sujet du séchage des grains et du secteur agricole; j’ai alors donné l’exemple de Kenton Possberg, un résidant de Humboldt, en Saskatchewan, qui m’avait envoyé sa facture de séchage de grains, sa facture de SaskEnergy. En un seul mois, la taxe sur le carbone lui a coûté près de 3 000 $; c’est ce qu’il a dû payer en un seul mois afin de faire sécher les grains qu’il avait récoltés, et la TPS a été ajoutée à ce montant. J’ai entendu dire que ce prix n’était même pas si exorbitant comparativement à celui que d’autres agriculteurs ont dû payer. C’était il y a quelques années.

Malgré sa promesse de plafonner la taxe sur le carbone, le gouvernement Trudeau a continué de l’augmenter, et il continuera de le faire. Le coût est maintenant bien plus élevé qu’il ne l’était auparavant.

Je tiens également à mentionner que l’inflation dans le secteur de l’alimentation a entraîné une hausse des prix à l’épicerie pour tous les Canadiens. À l’heure où tant de Canadiens peinent à mettre du pain sur la table et où le recours aux banques alimentaires n’a jamais été aussi élevé, les agriculteurs canadiens ont besoin de l’exonération de la taxe sur le carbone prévue dans ce projet de loi pour améliorer la viabilité de leurs exploitations agricoles.

J’aimerais que vous expliquiez plus en détail, pour que tous les Canadiens comprennent les effets de cette mesure sur eux, pourquoi les consommateurs canadiens ont besoin de cette exemption afin de rendre l’épicerie beaucoup plus abordable.

Le sénateur Wells : Merci de votre question, sénatrice Batters. Si je fais de ce débat un plaidoyer sur les avantages ou les inconvénients de la taxe sur le carbone, je perdrai rapidement le débat dans cette enceinte.

Oui, évidemment, offrir aux agriculteurs une meilleure rentabilité sur leur travail serait plus avantageux pour eux. Le sénateur Woo a mentionné qu’il y a des fluctuations dans les prix. C’est vrai. Il semble qu’en ce moment, le prix à payer pour se nourrir est à la hausse. Je ne sais pas si les agriculteurs profitent de cette hausse des prix, car les prix augmentent aussi pour les agriculteurs ainsi que pour les cultivateurs et les éleveurs. Quand je parle de l’un d’entre eux, je parle aussi des autres.

Il est simplement question du matériel agricole comme les étables — où vit le bétail en hiver et en été — pour le séchage des céréales, et pour toutes les opérations nécessaires pour lesquelles il n’y a actuellement aucune solution de rechange quant à la machinerie et au carburant. C’est l’essence même de ce projet de loi. Il s’agit de donner aux agriculteurs, aux éleveurs et aux cultivateurs le temps de se mettre à niveau en faisant des achats, de la recherche et de l’innovation sur le plan technologique. Cette « exclusion » — comme le dit si mal le sénateur Woo — leur donne le temps de le faire.

La sénatrice Batters : Je suppose que j’insistais simplement sur ce que vous avez dit : les agriculteurs vendent aux prix du marché; ils n’établissent pas les prix. Si leurs coûts augmentent à cause de l’augmentation de la taxe sur le carbone, ainsi que la TPS sur la taxe sur le carbone et tout cela, ils doivent récupérer le coût afin d’assurer la viabilité de leur exploitation. Bien sûr, le coût est transmis aux consommateurs à l’épicerie parce que les aliments ne tombent pas du ciel. Ils viennent des agriculteurs, généralement, sous une forme ou une autre.

Ainsi, vu que les prix à l’épicerie continuent d’augmenter — l’inflation se stabilise peut-être un peu, mais le taux est toujours très élevé —, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons qui expliquent que les aliments que produisent les agriculteurs, qu’il s’agisse de grains, de bœuf ou de poulet, ont un coût plus élevé à l’épicerie?

Le sénateur Wells : Je vous remercie encore une fois, sénatrice Batters.

En ce qui concerne le fait que les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs sont des preneurs de prix, ils évoluent dans des marchés de produits de base. Pour ce qui est du prix du porc, du blé et ainsi de suite, ils n’ont pas leur mot à dire comme dans les épiceries. Le propriétaire d’une épicerie peut décider de fixer lui‑même le prix d’une boîte de conserve parce qu’il a la possibilité de le faire. Or, l’agriculteur n’a pas cette possibilité. Toute différence de prix n’aura pas d’incidence sur l’année en cours, mais plutôt sur l’année suivante. Quand on y réfléchit, il y a tellement d’éléments dans le monde qui expliquent les prix, comme des sécheresses dans certaines régions du monde et des inondations ailleurs. Il y a tellement de facteurs qui entrent en ligne de compte. L’agriculteur obtient ce qu’on lui offre. Il n’a pas beaucoup de choix.

La facture est toujours refilée au consommateur. C’est le consommateur qui paie invariablement pour le produit final, ce qui donne encore plus de poids à la nécessité pour les agriculteurs d’avoir autant de marge que possible pour investir là où cela sera nécessaire. Les coûts ne font qu’augmenter, ils ne diminuent pas, surtout le prix du carburant et de l’équipement — et cela va directement dans ce sens — pour lesquels il n’y a pas de solutions de rechange.

L’honorable Jim Quinn : Sénateur Wells, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Wells : Assurément, sénateur Quinn.

Le sénateur Quinn : Merci beaucoup pour ce discours très instructif. Il souligne l’importance de la question à l’étude. En ce qui concerne les représentants des diverses associations avec lesquels je me suis entretenu, la chose qui m’a frappé — par rapport aux autres discussions qui ont eu lieu ici au sujet de l’industrie agricole — est la sécurité alimentaire. Vous avez fait allusion à la sécurité alimentaire dans votre discours, et cela m’a interpellé. Je suis quelque peu préoccupé par le fait que le secteur agricole — en tant que preneur de prix — continue à faire face à des défis comme le manque d’intérêt de la prochaine génération à prendre la relève ou à s’investir dans cette activité, ce qui renvoie à la question de la sécurité alimentaire.

Je dirais que nous pourrions attendre de voir quelles autres approches pourraient être adoptées, mais compte tenu de notre situation historique particulière dans le secteur agricole — avec la sécurité alimentaire et les prix dont mon honorable collègue vient de parler — n’est-il pas logique que cet oubli soit corrigé par l’élargissement des exemptions? Je conviens qu’il s’agit de la bonne formulation.

Un jour, j’aurai d’excellentes discussions avec le sénateur Woo à propos des exceptions — peut-être autour d’un rôti de bœuf.

Quoi qu’il en soit, je voulais juste avoir votre avis sur la question suivante. Ne devrions-nous pas nous préoccuper davantage de la sécurité alimentaire et de la capacité de la génération actuelle et de la prochaine génération à se lancer dans le secteur agricole?

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénateur Quinn. C’est une excellente question. Il s’agit d’une tendance que nous observons. Il y a moins d’exploitations agricoles familiales parce qu’il est difficile de réussir à petite échelle, c’est-à-dire à l’échelle d’une ferme familiale ou même d’une petite industrie. Nous pouvons voir, en particulier dans les Prairies — le même phénomène se produit aussi dans l’industrie de la pêche au Canada atlantique — que les grandes entreprises qui réalisent des économies d’échelle achètent de petites fermes, de petites exploitations, parce qu’elles peuvent avoir une meilleure marge. Mais cela reste difficile. Je ne peux penser à aucun produit de la chaîne d’approvisionnement alimentaire dont le prix baisse; aucun ne me vient à l’esprit.

C’est un point crucial. Plus le nombre d’exploitations agricoles diminue, plus on se rapproche d’une tendance monopolistique dans laquelle le consommateur n’a pas son mot à dire sur le prix. Dans ce scénario, qu’il s’agisse du consommateur ou des entreprises de consommation à valeur ajoutée qui valorisent les céréales ou le bétail, un seul choix demeure : c’est à prendre ou à laisser.

(1710)

Je suis d’accord avec vous. Cette situation est intenable et, chaque fois qu’on augmente le prix d’un produit déjà fragile, cela n’améliore en rien la situation.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Le sénateur Wells accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Wells : Absolument.

Le sénateur Dalphond : Merci, sénateur.

[Traduction]

J’ai deux questions, mais je vais attendre à la deuxième ronde pour poser la prochaine question.

Ma première question porte sur — si j’ai bien lu le projet de loi — l’exclusion, pour reprendre une expression utilisée précédemment et qui, à mon avis, est plutôt pertinente. L’exclusion est valide pour huit ans, mais elle pourrait être prorogée par le gouvernement s’il juge qu’elle doit être repoussée de huit ans ou encore de 10 ou 20 ans.

Croyez-vous qu’il vaudrait mieux que le projet de loi prévoie que le gouvernement peut réduire la période de huit ans — selon une suggestion énoncée précédemment —, si, au cours des deux prochaines années par exemple, des percées technologiques font en sorte qu’il serait préférable de recourir à une autre technologie pour sécher le grain, par exemple, et d’utiliser un système qui fonctionne à l’énergie solaire ou éolienne au lieu du gaz naturel ou du propane?

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Dalphond. C’est une excellente question et, bien entendu, le gouvernement, peu importe lequel, peut faire ce qu’il veut, à condition d’avoir l’accord des deux Chambres.

L’échéance est fixée à huit ans dans la version actuelle du projet de loi. Évidemment, le gouvernement peut la proroger, ou il pourrait aussi l’annuler ou adopter un amendement pour la réduire à six ans ou la fixer à tout autre nombre d’années.

Je n’ai pas entendu ce que vous avez dit, mais on peut apporter des modifications à n’importe quelle mesure législative.

L’honorable Brent Cotter : Sénateur Wells, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Wells : Absolument, sénateur Cotter.

Le sénateur Cotter : Merci.

Je trouve que le projet de loi que vous avez présenté est important et je pense que nous l’apprécions tous, en particulier si on pense aux agriculteurs, qui ont de véritables défis à relever afin de produire des aliments pour les Canadiens et le marché mondial.

J’ai apprécié votre observation selon laquelle il ne s’agissait pas vraiment d’une question politique, même si, avec tout le respect que je vous dois, j’ai trouvé que la sénatrice Batters avait un peu fait évoluer le débat dans ce sens, comme elle le fait à l’occasion dans cette enceinte.

Votre argument sur les preneurs de prix signifie également, à certains égards, qu’ils doivent accepter le prix du marché et que ce ne sont pas eux qui font augmenter les prix de l’épicerie, car cela fait partie de ce qu’ils prennent plutôt que de ce qu’ils établissent.

L’une des stratégies qui sous-tendent la tarification du carbone consiste à essayer d’inciter les gens à faire d’autres choix. Il s’agit manifestement d’un véritable défi pour les agriculteurs dans ce contexte, mais le fait de retirer cette stratégie du régime de tarification du carbone a un effet dissuasif sur cette orientation. Que vous soyez enthousiaste ou non à l’égard de la tarification du carbone, l’idée est d’essayer d’utiliser des outils axés sur le marché pour inciter les gens à modifier leur comportement.

Avez-vous des suggestions? Y a-t-il d’autres options qui peuvent générer ce type d’incitatif dans ce domaine, afin que nous finissions par obtenir du succès, disons, en adoptant cette mesure, mais en faisant d’autres choses qui peuvent inspirer les producteurs de porcs et les céréaliers dans leurs initiatives?

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Cotter, et vous avez raison. D’autres mesures peuvent être prises. Un remboursement sur l’équipement pourrait être créé en vue d’encourager les agriculteurs à délaisser la technologie qui nécessite des combustibles fossiles. Il existe également des programmes à cette fin.

L’idée n’est pas que les agriculteurs, les cultivateurs et les éleveurs prennent la marge et s’enfuient en se disant : « C’est génial, nous avons cet argent. » Chaque association que j’ai citée a indiqué qu’elle prévoit se servir de cette marge pour investir dans des technologies novatrices, c’est-à-dire dans quelque chose de différent.

Si ce n’était pas le cas, je ne dirais pas, comme je l’ai fait à plusieurs reprises dans mon discours, qu’il n’existe pas, actuellement, de solution de rechange prête à être mise sur le marché, que ce soit en termes d’équipement ou de carburant.

Le fait que le gaz naturel et le propane sont des combustibles de transition est très positif; ce n’est pas du charbon. Si on disait aux gens qu’ils ne recevraient pas d’avantage pour l’utilisation du gaz naturel ou du propane et s’il y avait toujours une pénalité, les gens choisiraient le combustible le moins cher possible, qui est, dans bien des cas, le charbon et le pétrole.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Sénateur Wells, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Wells : Absolument, sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie.

J’ai grandi dans une ferme et j’ai donc une bonne idée des défis que les agriculteurs doivent relever. Je comprends la complexité de la situation.

Sénateur Wells, je me demandais si vous étiez au courant du fait que le projet de loi C-8 prévoyait la mise en œuvre, à partir de 2021-2022, d’un crédit d’impôt remboursable pour les entreprises agricoles qui exercent leurs activités dans les provinces où s’applique le filet de sécurité fédéral pour la tarification de la pollution.

Des préoccupations ont été soulevées quant au fait que l’adoption du projet de loi C-234 entraînerait une double indemnisation des agriculteurs, ce qui pourrait compliquer davantage les choses, notamment du point de vue de la récupération fiscale. Je me demande donc si vous avez des observations à faire et si vous pensez que le Comité sénatorial permanent des finances nationales pourrait apporter son expertise ou son point de vue sur la question.

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénatrice Gagné.

Bien entendu, il n’est pas possible de cumuler les prestations, qu’il s’agisse d’un remboursement ou d’une exemption. Le système fait en sorte qu’un producteur qui reçoit un remboursement ne peut pas également bénéficier d’une exemption, et inversement. C’est une décision stratégique qui a été prise par l’Agence du revenu du Canada. Il n’est pas nécessaire de passer par une mesure législative. Il est déjà possible de le faire grâce à une directive du ministre.

Je pense qu’il appartient à la Chambre de décider si un comité doit en être saisi et, le cas échéant, lequel. S’il s’agit d’une question d’ordre fiscal, il revient au comité des finances nationales de l’étudier. S’il s’agit d’une question qui concerne spécifiquement les exploitations agricoles, il revient au comité de l’agriculture et des forêts de le faire. Je l’ignore, et je m’en remets à la Chambre.

En revanche, pour ce qui est des exemptions et des remboursements, c’est l’un ou l’autre, et je pense que c’est bien établi.

Le sénateur Dalphond : Sénateur Wells, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Wells : Oui, sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Il ne reste que cinq minutes.

Ma première question concernait la possibilité pour le gouverneur en conseil de repousser la date, mais l’impossibilité de la rapprocher. Vous m’avez répondu : « Eh bien, il est toujours possible de modifier la loi. » Modifier les lois est un exercice intéressant.

Ma question est la suivante, et elle s’inscrit dans le sillage des questions posées par la sénatrice Gagné.

Nous savons que, pour la taxe sur le carbone, chaque année, le gouvernement fera un calcul pour déterminer le montant à verser par les agriculteurs de Saskatchewan et que ce montant constitue la mise en commun qui sera ensuite divisée entre les agriculteurs de Saskatchewan à la fin de l’année en fonction des coûts d’exploitation de chacun, plutôt qu’en fonction du coût du propane ou du gaz naturel.

Dites-vous que, si le projet de loi entre en vigueur en juin prochain, le montant qui a été mis de côté pour les agriculteurs de Saskatchewan en janvier et qui doit être partagé entre les agriculteurs ne pourra plus être partagé ou qu’il pourra tout de même être partagé? S’il peut tout de même être partagé, je ne comprends pas pourquoi les agriculteurs devraient gonfler leurs prix pour obtenir un montant plus élevé. Ils peuvent récupérer la taxe.

Je veux comprendre la logique de cet argumentaire, parce que je ne comprends pas.

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Dalphond.

Je ne crois pas avoir dit — et je suis en désaccord si c’est ce que vous dites — que les agriculteurs vont gonfler les prix et qu’ils toucheront leur part du gâteau.

Le projet de loi vise simplement à étendre l’exemption existante à l’équipement ou aux carburants actuellement inadmissibles. Ainsi, un séchoir à grains qui fonctionne au gaz naturel ou au propane serait exempté de la taxe sur le carbone. De plus, si une nouvelle pièce d’équipement ou un nouveau carburant fait son apparition à l’échelle industrielle d’ici huit ans, ceux-ci seraient admissibles.

Je ne sais pas si cela répond à votre question. Par ailleurs, nous savons que les lois peuvent être abrogées. Nous avons passé les deux premières années sous le gouvernement Trudeau à abroger des lois. La même chose pourrait arriver dans ce cas-ci. Nous pouvons amender le projet de loi pour faire passer la période de validité de huit à six ans, selon les carburants disponibles et l’équipement disponible à l’échelle industrielle. Je ne suis pas agriculteur, mais je crois que les éleveurs, les cultivateurs et les agriculteurs qui ont été consultés aux fins de l’élaboration du projet de loi par l’ancienne sénatrice Griffin, le député Philip Lawrence et le député Ben Lobb, le parrain du projet de loi — des personnes qui connaissent bien la communauté agricole —, sont les mieux placés pour dire si huit ans semblent une période raisonnable. Ensuite, il appartiendra aux Chambres du Parlement de déterminer s’il vaut la peine de prolonger cette période.

(1720)

C’est ce que je pense.

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au Sénat pour parler du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, parrainé par le sénateur Wells. Merci, sénateur Wells, pour votre intervention et pour avoir répondu à toutes ces questions.

Le projet de loi C-234 est un texte législatif essentiel qui vise à soutenir nos agriculteurs. En tant que défenseur de l’agriculture, je suis fier de me présenter devant vous, et je continuerai à le faire à l’avenir, pour soutenir l’industrie agricole canadienne.

Avant de me plonger dans les détails du projet de loi, je voudrais prendre un moment pour souligner l’importance de l’agriculture canadienne. Nos agriculteurs travaillent sans relâche pour produire les aliments qui nourrissent notre pays et le monde entier, et ils sont confrontés à des circonstances de plus en plus difficiles : les changements climatiques, les pénuries de main-d’œuvre, les perturbations dans le domaine commercial et les effets persistants de la pandémie de COVID-19 ont fait des ravages dans notre secteur agricole. En tant que nation, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir nos agriculteurs afin qu’ils puissent continuer à prospérer face à ces difficultés considérables.

Cela m’amène au projet de loi C-234.

Ce projet de loi vise à modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre pour venir en aide aux agriculteurs qui subissent le fardeau de la taxe sur le carbone mise en œuvre en 2019. Cette taxe vise à imposer une tarification des émissions de gaz à effet de serre dans le but de réduire l’empreinte carbone du Canada et de respecter les engagements internationaux du Canada en matière de lutte contre le changement climatique. Elle est toutefois une source de mécontentement et de difficultés financières pour de nombreux Canadiens, notamment les exploitants agricoles, qui doivent déjà assumer des coûts élevés alors que leurs marges bénéficiaires s’amincissent.

À l’autre endroit, des interventions de députés et de témoins concernant la taxe sur le carbone ont mis en évidence les effets négatifs de cette taxe sur les agriculteurs canadiens. Dans son rapport de 2020, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire affirme que la taxe sur le carbone entraîne l’augmentation du coût des intrants pour les agriculteurs, réduit leur compétitivité, et les dissuade d’investir dans de nouvelles technologies et de nouvelles infrastructures. Ce rapport souligne également que la taxe sur le carbone touche de manière disproportionnée les agriculteurs de certaines régions du pays, notamment les Prairies, où le coût du transport est plus élevé et où les conditions météorologiques et les températures sont plus imprévisibles.

Par ailleurs, une étude réalisée par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a révélé que la taxe sur le carbone coûte, en moyenne, 14 000 $ par année aux agriculteurs. Il s’agit là d’un lourd fardeau pour de nombreuses entreprises agricoles ayant déjà de la difficulté à joindre les deux bouts. L’étude a aussi révélé que la taxe sur le carbone entrave la croissance et le développement du secteur agricole, qui est crucial pour l’économie canadienne.

Il est clair que la taxe sur le carbone nuit aux agriculteurs canadiens et qu’il faut faire quelque chose pour régler le problème. Le projet de loi C-234 offre une solution pratique qui aiderait les agriculteurs, sans pour autant compromettre nos objectifs environnementaux. Il propose d’exempter les carburants de la taxe sur le carbone, lorsqu’ils sont utilisés pour des choses essentielles comme le chauffage des granges et le séchage du grain. Cette exemption aurait des retombées positives importantes sur l’agriculture canadienne. Elle réduirait le coût des intrants pour les agriculteurs, ce qui leur permettrait d’investir plus facilement dans de nouvelles technologies et infrastructures qui amélioreront leur efficacité et leur compétitivité au fil du temps.

L’exemption favoriserait également la croissance et le développement du secteur agricole, qui jouent un rôle essentiel dans le bien-être socioéconomique de notre pays.

En outre, elle serait conforme à l’engagement du gouvernement de soutenir les petites entreprises et les collectivités rurales. En exemptant les carburants utilisés pour des activités agricoles, le gouvernement reconnaîtrait les défis uniques auxquels font face ces groupes et indiquerait qu’il prend des mesures pour les aider à les relever.

Il y a aussi eu des discussions sur les effets potentiels de l’exemption sur les objectifs du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques. Cependant, ce projet de loi me semble atteindre un bon équilibre entre le soutien aux agriculteurs et la protection de l’environnement. Il inclut aussi des dispositions qui précisent quelles sont les pratiques agricoles visées afin que l’exemption soit appliquée convenablement.

De plus honorables sénateurs, comme on l’a déjà indiqué, le projet de loi a été amendé, et une disposition de caducité a été ajoutée à l’autre endroit. En effet, pour tenir compte du fait que les avancées technologiques aideront l’industrie à évoluer davantage, on a amendé le projet de loi en y incluant des dispositions pour que l’exemption expire dans huit ans.

Honorables collègues, nous savons tous que, grâce à des innovations exceptionnelles, le Canada et le monde entier pourraient finalement ne plus être dépendants des combustibles fossiles, mais d’ici là, on ne peut pas refiler le coût de la taxe sur le carbone à ceux qui nous nourrissent.

Comme le député de Huron—Bruce l’a dit à l’autre endroit, lors des audiences du Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire, les agriculteurs sont des preneurs de prix et non des établisseurs de prix; ils sont soumis aux aléas du marché comme tout le monde. Les agriculteurs et les transformateurs doivent demeurer compétitifs dans l’économie canadienne, et la taxe sur le carbone touche de façon démesurée ces intendants des terres qui apportent une contribution essentielle dans ce pays.

En outre, le secteur joue un rôle crucial dans la préservation de l’environnement au Canada. De nombreux agriculteurs utilisent déjà activement des méthodes de captage du carbone pour améliorer leurs terres agricoles. Nous en entendons parler dans le cadre de l’étude sur les sols au Comité sénatorial de l’agriculture. Pourtant, nous continuons à nous intéresser uniquement à l’empreinte carbone du secteur, et non à la contribution des agriculteurs et des producteurs au captage et au stockage du carbone et à l’atténuation des changements climatiques.

Je voudrais également mentionner que ce n’est pas la première fois que nous étudions ce projet de loi. Comme cela a été dit, il y a eu des projets similaires dans le passé. De nombreuses tentatives ont été faites dans les deux Chambres pour alléger la taxe sur le carbone pour les agriculteurs. Le projet de loi S-215 a été déposé par notre collègue l’honorable Diane Griffin, aujourd’hui à la retraite, ici même en 2019, comme nous l’avons entendu. Ce projet de loi prévoyait également des dispositions pour le séchage commercial et il aurait inclus les agriculteurs et l’ensemble du secteur dans son champ d’application.

Dans un mémoire présenté en 2021 au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, l’organisme Grain Farmers of Ontario souligne qu’en Ontario, les coûts combinés de séchage des cultures au propane et au gaz naturel s’élevaient à 120 millions de dollars en 2019, soit près du double des coûts d’une année normale, qui s’élèvent à 63 millions de dollars. En 2021, la taxe sur le carbone a ajouté environ 22 % au coût du séchage des céréales, et ce chiffre continuera d’augmenter considérablement jusqu’en 2030, lorsque le coût de la taxe sur le carbone atteindra à lui seul 92 % de la valeur actuelle du carburant utilisé pour sécher les récoltes.

Un autre projet de loi comparable, le projet de loi C-206, a été présenté à l’autre endroit en 2020 par le député Philip Lawrence de Northumberland—Peterborough-Sud, qui a déclaré à la Chambre des communes que la taxe sur le carbone entraînait un coût pour les agriculteurs.

Si cette observation a été et peut être contestée — et fait l’objet de débats houleux — ce qui n’est pas contesté par le secteur agricole, c’est que la taxe n’est pas sans incidence sur les recettes. Leurs prix ne sont pas fixés par les agriculteurs, mais par les entreprises, les gouvernements et les marchés internationaux. Ils ne peuvent pas se contenter de refiler ces coûts. L’argent vient directement de la poche des agriculteurs, et c’est de l’argent qu’ils pourraient utiliser pour réinvestir dans leurs exploitations, investir dans des technologies propres et aider à subvenir aux besoins de leurs familles.

Telle est l’idée du projet de loi C-234.

Selon des témoignages entendus au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, bon nombre d’intervenants du secteur agricole participent déjà à la lutte contre les changements climatiques. Ils trouvent des stratégies de réduction des émissions de carbone ainsi que des moyens novateurs de produire des aliments pour le Canada et le reste de la planète.

Par exemple, on utilise des déchets de carbone pour produire des biocarburants, notamment grâce à la construction de biodigesteurs — des digesteurs anaérobies. Les agriculteurs sont des gens progressistes et déterminés à utiliser des technologies novatrices afin de faire progresser l’industrie.

Honorables collègues, ce projet de loi rallie divers intérêts. Les défenseurs du secteur agricole comprennent sa nécessité, car il offre une occasion en or de modifier et d’améliorer cette politique fiscale qui nuit jusqu’à présent aux agriculteurs et aux producteurs canadiens.

Par contre, ce projet de loi n’est pas parfait. J’ai récemment reçu une lettre de l’Ontario Agri Business Association, qui souligne que de nombreux agriculteurs dans plusieurs provinces seront touchés de façon disproportionnée par le projet de loi C-234. Par exemple :

[...] environ les deux tiers (en volume) du maïs produit en Ontario sont séchés dans des silos-élévateurs commerciaux [...]

Selon son libellé actuel, le projet de loi C-234 entraîne un important déséquilibre parmi les producteurs de l’Ontario pour ce qui est des coûts de production, car l’exemption proposée vise exclusivement les exploitations agricoles qui possèdent un séchoir à grain, mais aucun allégement de la taxe sur le carbone aux agriculteurs qui choisissent de faire sécher leur grain dans l’un des 357 silos-élévateurs commerciaux de cette province.

(1730)

Chers collègues, la citation se poursuit :

Lorsque les céréales sont séchées dans les silos commerciaux de l’Ontario, elles appartiennent encore à l’agriculteur qui les a cultivées.

Le silo commercial adresse à l’agriculteur une facture pour le propane ou le gaz naturel utilisé pour sécher son grain jusqu’à un taux d’humidité convenu, avant qu’il ne soit stocké ou utilisé par un utilisateur final.

La procédure administrative est très similaire à la facturation du gaz naturel ou du propane à un agriculteur par l’entreprise d’approvisionnement en combustible avant que celui-ci ne soit utilisé pour le séchage des céréales à la ferme.

Il en va tout autrement pour les agriculteurs de l’Alberta, qui sont beaucoup plus nombreux à disposer de capacités de séchage à la ferme.

Honorables collègues, j’aimerais également attirer votre attention sur une préoccupation qui a été soulevée à l’autre endroit et qui, à mon avis, sera abordée tout au long du débat sur ce projet de loi, et c’est même déjà fait. Si le projet de loi C-234 est adopté, les agriculteurs pourraient avoir le beurre et l’argent du beurre en raison des dispositions du projet de loi C-8, la Loi d’exécution de la mise à jour économique et financière, adoptée en juin 2022. On craint que les agriculteurs puissent bénéficier du paiement de l’Incitatif à agir pour le climat ainsi que des exemptions prévues par le projet de loi C-234.

Honorables sénateurs, il y a eu des discussions à ce sujet au Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire, où le gouvernement est majoritaire avec 6 sièges sur 12. Par conséquent, si le gouvernement s’inquiétait que les agriculteurs puissent profiter en même temps d’un remboursement et d’une exemption, il aurait eu amplement le temps et l’occasion d’amender le projet de loi par l’intermédiaire de sa majorité démocratiquement élue au sein du comité. Cependant, aucune action n’a été entreprise au-delà de la discussion. Le projet de loi C-234 étant maintenant à l’étude au Sénat, nous avons l’occasion de montrer notre soutien aux agriculteurs du pays afin que l’industrie puisse continuer à faire ce qu’elle fait le mieux : nourrir le Canada et le reste de la planète.

Ce projet de loi n’est pas parfait, je tiens à le dire clairement, mais je crois tout de même que nous devons travailler avec diligence afin de l’adopter le plus rapidement possible avant l’ajournement d’été. Les agriculteurs ont besoin de cette aide dès maintenant pour les récoltes de l’automne prochain et leur planification à plus long terme. Si cela s’avère nécessaire, des amendements pourront être apportés ultérieurement pour l’améliorer, comme on l’a déjà dit. Peut-être envisageront-ils même d’étendre cette disposition à d’autres secteurs agricoles, mais c’est là un sujet à aborder une autre fois.

Honorables sénateurs, bien qu’il soit possible d’améliorer le projet de loi C-234, nous ne pouvons pas laisser passer cette occasion d’aider le secteur agricole au Canada. Ce projet de loi a reçu l’appui de députés de tous les partis dans l’autre endroit. Ils ont reconnu qu’il s’agit d’une fondation sur laquelle nous pouvons tous prendre appui pour avancer afin d’offrir des allégements fiscaux aux agriculteurs, qui sont continuellement confrontés à des pressions croissantes et à une augmentation des coûts.

En terminant, honorables sénateurs, les agriculteurs comprennent l’importance de l’innovation et des progrès dans leur lutte contre les changements climatiques, mais cette lutte ne peut se faire en limitant leur capacité financière et en les forçant à porter le fardeau d’une taxe injuste sur leurs moyens de subsistance.

Je remercie tous mes honorables collègues de m’avoir écouté aujourd’hui et de continuer à soutenir le secteur agricole canadien. J’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le projet de loi afin qu’il soit adopté et qu’il franchisse toutes les étapes subséquentes dans cette enceinte le plus rapidement possible. C’est très important pour faciliter la croissance continue de l’agriculture au Canada et de l’économie de notre pays.

Les agriculteurs veulent continuer à nourrir les Canadiens et les autres populations dans le monde. Assurons-nous de ne pas leur lier les mains pendant qu’ils accomplissent leur travail. Merci, meegwetch.

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le débat est ajourné.)

Les contributions et l’impact des Premières Nations, des Métis et des Inuits

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boyer, attirant l’attention du Sénat sur les contributions et les retombées positives réalisées par les Métis, les Inuits et les Premières Nations au Canada, et dans le monde.

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, le débat sur cette interpellation est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Petitclerc. Après mon intervention d’aujourd’hui, je demande le consentement du Sénat pour qu’elle reste ajournée à son nom.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il en est ainsi ordonné.

Le sénateur Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Boyer concernant les contributions positives des Métis, des Inuits et des Premières Nations à notre pays et à l’échelle mondiale. J’espère que cette initiative contribuera à notre appréciation collective des peuples autochtones alors que nous nous engageons sur la voie d’une plus grande réconciliation.

Il est vrai que ma connaissance des questions autochtones était limitée avant mon arrivée au Sénat. L’histoire que l’on m’a enseignée à l’école était largement insuffisante. Heureusement, les choses sont en train de changer, et nos enfants apprennent aujourd’hui à connaître cette histoire, y compris ses aspects les plus sombres.

Nous avons parlé de grands universitaires autochtones, d’entrepreneurs accomplis et de sénateurs, bien sûr. Mais qu’en est‑il de notre sport national? Comme des millions de Canadiens, j’aime le hockey. J’ai donc choisi de partager des histoires inspirantes d’athlètes autochtones qui ont fracassé le plafond de verre dans ce sport et qui sont devenus des joueurs et des modèles exaltants.

Beaucoup ne le savent peut-être pas, mais les peuples autochtones ont contribué à la création et à l’évolution du jeu que nous appelons aujourd’hui le hockey. Je ne participerai pas au débat historique sur les origines du jeu — ce débat est réservé aux historiens et aux amateurs de hockey —, mais on a dit que deux cultures, celle des Mi’kmaq et celle des Irlandais, ont contribué aux origines du jeu.

La relation entre les Autochtones et le hockey est plus complexe qu’il n’y paraît. Si le hockey fait partie de notre identité culturelle, tout le monde ne partage pas ce sentiment. Certains Autochtones associent la douleur et le chagrin au hockey. Des articles universitaires ont été écrits sur le sujet; ils s’appuyaient sur les témoignages de survivants des pensionnats indiens, qui affirment que le hockey a été utilisé à des fins d’assimilation et pour effacer la présence autochtone. Selon certains universitaires, le hockey a été utilisé comme outil de sociologie appliquée et il est important de partager les expériences des élèves, mais ces expériences doivent être comprises dans le contexte plus large d’un système qui visait à dépouiller les jeunes Autochtones de leurs identités culturelles.

Les auteurs d’un article qui a récemment paru dans la revue Études ethniques au Canada ont cité Eugene Arcand, un homme cri qui a été honoré pour son travail à l’appui du sport autochtone, et ont écrit ceci :

M. Arcand estime que le hockey offre une possibilité d’autonomisation et de changement, mais il souligne aussi qu’il a été le théâtre de préjugés et de racisme brutaux.

Comme M. Arcand l’a dit :

Si j’ai survécu dans ma vie, c’est grâce au sport [...] Il m’a aidé à devenir le leader que je suis aujourd’hui [...] C’est un excellent moyen de développer des modes de vie positifs et des attitudes positives.

Je pense qu’il est important de parler de cette dichotomie. La relation entre les Autochtones et le hockey revêt de multiples facettes et elle révèle des cicatrices sombres et douloureuses dont nous devons être conscients. Cependant, j’ai l’intention aujourd’hui de me concentrer sur les réussites et sur les modèles qui ont atteint certains des échelons les plus élevés du hockey.

Le premier nom qui vient à l’esprit lorsqu’on pense aux héros autochtones du hockey, c’est peut-être celui de George Armstrong, qui était Algonquin. Il a été capitaine des Maple Leafs pendant 13 saisons et il a remporté quatre fois la Coupe Stanley, dont la dernière en 1967, ce qui, soit dit en passant pour les amateurs des Maple Leafs, remonte à plus de 20 000 jours. George Armstrong n’a jamais oublié ses racines et il est souvent retourné dans le Nord de l’Ontario pour parler aux jeunes. Comme l’a dit un commentateur :

Armstrong a toujours été une figure emblématique, non seulement pour le hockey des Maple Leafs, mais aussi pour le hockey, la culture et toutes les collectivités autochtones.

George Armstrong est décédé en 2021, mais son héritage de pionnier perdure.

(1740)

Fred Sasakamoose est un autre joueur autochtone qui a joué un rôle de pionnier. Considéré comme le premier joueur autochtone de la LNH, Running Deer, comme on l’appelait, était un Cri de la Saskatchewan. Membre de l’Ordre du Canada, M. Sasakamoose est décédé en 2020. Heureusement, au moment de son décès, il travaillait sur ses mémoires, qui ont été publiées à titre posthume, et qui figurent sur la liste des 10 meilleurs livres de 2021 établie par Indigo.

M. Sasakamoose a fréquenté le pensionnat St. Michael’s, où il a appris à jouer au hockey et est tombé amoureux de ce sport. Dans son autobiographie, il explique comment le hockey l’a aidé à oublier les problèmes de sa vie :

Je me sentais fort, libre et plein de vie. J’oubliais le pensionnat et tout ce qui s’y passait pendant quelques heures.

Fred a fait ses débuts dans la LNH en 1953 et a joué pour les Blackhawks de Chicago. Bien que sa carrière dans la LNH ait été brève, il a ouvert la voie à des dizaines d’autres joueurs de la LNH. En dehors du hockey, M. Sasakamoose était un véritable pilier de sa collectivité, qu’il a servie pendant 35 ans à titre de conseiller de bande et de chef.

Il s’est investi dans l’école de hockey All Nations de Saskatoon et a lancé la semaine des étoiles du hockey Fred Sasakamoose. Voici ce qu’il a écrit à ce sujet :

C’était un camp destiné à permettre aux jeunes espoirs autochtones de perfectionner leur technique, mais qui était également ouvert aux enfants non autochtones. Il me semblait important de ne pas créer de clivages entre les jeunes joueurs.

En 1998, Fred s’est joint au groupe de travail sur la diversité de la LNH, ce qui lui a permis de se rendre dans des réserves pour trouver des jeunes talentueux. Deux de ces garçons, DJ et Dwight King, étaient des frères d’ascendance métisse. Dwight a remporté deux Coupes Stanley avec les Kings de Los Angeles.

Plus récemment, Fred a témoigné lors des audiences de la Commission de vérité et réconciliation. Il a dit ceci dans son livre :

Lorsque j’ai témoigné dans le cadre des audiences, j’ai parlé de mes expériences au hockey et de l’agression sexuelle que j’ai subie. Il me semblait important de parler du sport qui m’a aidé à composer avec les horribles expériences que j’ai vécues pendant ces années et qui m’a aidé à me bâtir une vie quand j’ai quitté l’école.

L’extrait suivant résume à quel point Fred a été important pour les peuples autochtones. Il dit ceci :

Dans plusieurs articles de journaux parus récemment, des auteurs m’ont décrit comme un pionnier en parlant de ma carrière. Selon eux, j’aurais en quelque sorte contribué à abattre des barrières pour les joueurs autochtones et de couleur. J’aime croire que c’est peut-être vrai.

C’est bien vrai, cela ne fait aucun doute.

Parmi les innombrables jeunes joueurs autochtones qu’il a inspirés, on compte un joueur étoile que Fred a influencé énormément, Bryan Trottier, de la Saskatchewan, dont le père était un Cri Métis. Le nom de Bryan Trottier est étroitement lié à la dynastie des Islanders de New York des années 1980. Il a aidé cette équipe à remporter quatre Coupes Stanley de suite, et il en a remporté deux autres avec les Penguins de Pittsburgh, ainsi qu’une septième en 2001, en tant qu’entraîneur adjoint de l’équipe du Colorado.

M. Trottier a rédigé l’avant-propos du livre de Fred Sasakamoose. Il y évoque sa fierté du fait que Fred ait été le premier joueur autochtone à part entière à percer dans la LNH. Il a écrit :

Cela représentait beaucoup pour moi et pour nous tous. Cela nous rendait tous très fiers de nos origines. Lorsque mes frères, mes sœurs et moi-même allions à l’école et faisions du sport, les autres enfants nous traitaient de tous les noms [...] Mais les réalisations de Fred nous ont rendus fiers [...]

Après sa carrière de hockeyeur, M. Trottier, qui a publié son autobiographie l’année dernière, a passé du temps à aider les jeunes Autochtones, et il a joué un rôle clé dans la création d’une équipe de hockey autochtone qui a parcouru le pays pour donner des cours de patinage et de hockey à des jeunes.

MM. Trottier et Armstrong ne sont pas les seuls joueurs autochtones dont le nom est gravé sur la coupe. Reggie Leach, Grant Fuhr, Jordan Nolan et l’entraîneur-chef Craig Berube ont également eu l’honneur de brandir la coupe de lord Stanley.

Un des noms qui n’a pas encore été gravé sur la coupe est celui d’un des joueurs autochtones les plus accomplis, celui de Carey Price. Son présentoir de trophées est bien garni : il a remporté la médaille d’or aux Olympiques et au Championnat mondial junior, ainsi que le trophée Vézina et le trophée Hart remis par la LNH. Outre les récompenses, une des plus grandes réalisations de ce gardien de but est la défense de sa communauté. Il a fait d’importants dons d’équipements aux associations de hockey, aux organismes pour les jeunes et aux écoles. En outre, Carey et sa femme sont les ambassadeurs nationaux du Club des petits déjeuners, qui offre des aliments nutritifs à plus d’un demi-million d’enfants canadiens chaque jour, y compris 41 000 jeunes Autochtones.

Carey a toujours été fier de ses racines. Voici ce qu’il a dit, en 2015, lors de la cérémonie de remise des prix de la LNH devant des gens de toute la planète lorsqu’on lui a remis un des quatre trophées qu’il a reçus cette année-là :

Je voudrais profiter de l’occasion pour encourager les jeunes des Premières Nations. Beaucoup de gens diraient qu’il était très improbable que je me rende jusqu’à ce point-ci dans ma carrière. Si j’ai réussi, c’est parce que je ne me suis jamais découragé. J’ai travaillé fort pour me rendre jusqu’ici, j’ai profité de toutes les occasions qui se sont présentées à moi. Je tiens vraiment à encourager les jeunes des Premières Nations à être des leaders dans leur communauté. Soyez fiers de votre patrimoine et ne vous laissez pas décourager par ce qui semble improbable.

Carey Price n’est pas le seul joueur de hockey autochtone ayant remporté une médaille olympique. Le hockey féminin est de plus en plus populaire et plus excitant que jamais. Je garde un excellent souvenir du match où le Canada a remporté la médaille d’or à Vancouver et de la déchirante défaite à la finale de Pyeongchang.

Parmi les fières médaillées d’argent en Corée, il y avait la Manitobaine Brigette Lacquette. Elle est devenue la première femme autochtone du Canada à jouer au hockey aux Jeux olympiques, et elle continue de briser le plafond de verre. En 2021, les Blackhawks de Chicago l’ont embauchée, faisant d’elle la première femme autochtone à recruter pour une équipe de la LNH. Elle n’a que 30 ans et déjà, elle est une inspiration pour les jeunes filles autochtones.

Honorables sénateurs, en plus d’être autochtones, tous ces joueurs ont une chose en commun : ils sont inspirants. D’une génération à l’autre, ces joueurs élites sont une source d’inspiration et de motivation. Ce sont des modèles. Lacquette, Price, Trottier et Leach ont tous reçu le prix Indspire en reconnaissance de leur puissant héritage.

À l’instar d’Ethan Bear, de Jordin Tootoo, de Zach Whitecloud et de Brandon Montour, ces superstars autochtones ont toutes dû surmonter l’adversité pour devenir des athlètes de haut niveau. Ils témoignent de ce que l’on peut accomplir lorsqu’on travaille fort et qu’on aime ce qu’on fait.

Fred Sasakamoose avait compris ce que cela signifiait que d’être un modèle. Il a écrit :

Il y a eu beaucoup de joueurs autochtones depuis que j’ai commencé, mais je suis heureux de penser que j’ai inspiré […] des enfants à l’époque. Je leur ai montré, j’ai montré à tout le monde, que nous pouvions réussir dans le monde des Blancs. C’est plus important que n’importe quel trophée. Et j’espère qu’en racontant mon histoire aujourd’hui, les lecteurs non autochtones comprendront mieux les obstacles que nous devons surmonter pour réussir.

La Ligue nationale de hockey est également consciente qu’elle a du travail à faire pour susciter des changements sociaux positifs et favoriser l’émergence de communautés plus inclusives. Grâce à son initiative Le hockey est pour tout le monde, la ligue veut que les programmes de hockey se déroulent dans un cadre sûr, positif et inclusif pour tous les joueurs et toutes les familles.

Par ailleurs, la Hockey Diversity Alliance a également été fondée en 2020 par des joueurs de couleur de la LNH afin de créer une plateforme visant à mettre fin au racisme et à l’intolérance.

Mes chers Canadiens de Montréal se sont également engagés sur la voie de la guérison et de la réconciliation. Les Canadiens reconnaissent désormais le territoire au Centre Bell, et ils ont rendu hommage à des leaders autochtones lors de leurs matchs à domicile.

Honorables collègues, je voulais aujourd’hui mettre en lumière des histoires inspirantes de joueurs autochtones pour susciter des vocations, dans l’espoir que les jeunes autochtones et d’autres groupes marginalisés sachent qu’en effet, le hockey est pour tout le monde.

Je voulais également souligner qu’avec de la confiance, de l’ambition et de la persévérance, il est possible de réussir et d’exceller dans la vie malgré les nombreux obstacles.

Permettez-moi de citer en terminant un dernier extrait du livre de Fred Sasakamoose, où il raconte un échange avec un journaliste sportif américain qui s’était rendu chez lui pour lui consacrer une chronique. Le journaliste a dit à Fred que le réseau voulait une « histoire heureuse ». Fred lui a répondu sans ménagement qu’il était venu au mauvais endroit.

Se remémorant de cette rencontre, Fred a écrit ceci :

Sa demande m’a fait penser qu’il ne savait pas grand-chose de ce qu’avaient vécu les Autochtones habitant sur ce continent au cours des derniers siècles. Il se peut aussi qu’il le savait, et qu’il était en train de me dire que ses téléspectateurs et lui s’en fichaient, qu’ils ne voulaient pas en entendre parler. Cependant, cela fait partie de mon histoire, et je veux que les gens le comprennent. Je suis un homme chanceux. Je fais partie de ces rares personnes dont le rêve s’est réalisé, qui a fait quelque chose que tant de gens aimeraient faire sans le pouvoir. Toutefois, j’essaie aussi de survivre dans un monde qui n’a pas toujours reconnu nos droits ou ne nous a pas toujours donné la liberté et l’honneur qui nous sont dus.

Merci, meegwetch.

(Le débat est ajourné.)

Le centième anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Woo, attirant l’attention du Sénat sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois, sur les contributions que les Canadiens d’origine chinoise ont apportées à notre pays et sur la nécessité de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 11, qui porte sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois.

Je remercie notre collègue le sénateur Woo d’avoir présenté cette interpellation et de nous avoir encouragés à parler des expériences de la communauté chinoise.

La communauté chinoise a joué un rôle déterminant dans le développement du Canada et de son identité. Honteusement, le racisme envers les Chinois est à la hausse au Canada. J’entends de nombreuses histoires inquiétantes de la part d’habitants de la Colombie-Britannique.

(1750)

Honorables sénateurs, le Canada a une sombre histoire de discrimination et de mauvais traitements à l’égard de la communauté chinoise, comme le démontrent de nombreuses politiques fédérales et leurs répercussions, y compris la taxe d’entrée imposée aux Chinois en 1885, la Loi d’exclusion des Chinois en vigueur de 1923 à 1947, le déni historique du droit de vote et les attaques ciblées contre les communautés chinoise et japonaise pendant les émeutes antiasiatiques de Vancouver, en 1907. En février dernier, le sénateur Woo a décrit de façon éloquente les répercussions de ces politiques et de ces expériences sur les Canadiens d’origine chinoise, la douleur, l’humiliation et la peur qu’elles ont causées, sans oublier les séquelles de ces politiques et l’effet qu’elles ont toujours sur la communauté.

La pandémie de COVID-19 a révélé une partie des ressentiments à peine voilés qui couvent encore aujourd’hui dans la société. Il est évident que du racisme ciblé contre les Canadiens d’origine chinoise a été observé dans ma province, la Colombie-Britannique, ce qui m’attriste. Des preuves de cette réalité honteuse se trouvent dans un rapport exhaustif de 500 pages que la commissaire des droits de la personne de la Colombie-Britannique a publié plus tôt cette année. Le rapport confirme ce qui suit :

Les actes ciblés de racisme et de discrimination antiasiatiques sont devenus plus fréquents et plus graves dans l’ensemble des collectivités de la Colombie-Britannique et partout au Canada pendant la pandémie de COVID-19.

Honorables sénateurs, les faits suivants devraient tous nous alarmer et nous bouleverser. Le service de police de Vancouver a signalé qu’entre 2019 et 2020, il y a eu une augmentation de 717 % des incidents haineux visant les résidants asiatiques, notamment des insultes raciales, des graffitis racistes, des menaces verbales, du harcèlement criminel et des agressions physiques. Ainsi, un sondage réalisé en avril 2021 auprès des résidants de la Colombie-Britannique d’origine asiatique a révélé que 87 % des répondants estimaient que le racisme envers les Asiatiques s’était aggravé depuis le début de la pandémie, et 64 % d’entre eux estimaient qu’il s’était beaucoup aggravé. Il est également important de souligner que nombre de ces agressions ne sont pas signalées.

Quant aux victimes qui racontent courageusement leurs expériences, il est déchirant d’entendre leurs récits d’agressions verbales et physiques. Il s’agit notamment d’aînés comme Judy Cheung, qui a été frappée au visage par un inconnu alors qu’elle sortait d’une épicerie de Vancouver en 2021. Cette septuagénaire se sent désormais obligée de se munir d’un parapluie pour se protéger chaque fois qu’elle sort.

Honorables sénateurs, cette situation est inacceptable. Aucune communauté ni aucune personne ne devrait connaître une telle peur au Canada. Cependant, j’ai bon espoir, parce que je sais par expérience à quel point le Canada est compatissant et accueillant.

J’aimerais maintenant profiter de l’occasion pour parler des contributions inestimables des Canadiens d’origine chinoise à la Colombie-Britannique, ma province. Historiquement, les travailleurs chinois sont étroitement associés à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique et ont joué un rôle essentiel dans l’industrialisation de l’économie en tant que travailleurs qualifiés et semi-qualifiés dans les scieries et les conserveries de la Colombie-Britannique et aussi en tant que propriétaires de petites entreprises.

Plus récemment, les Canadiens d’origine chinoise ont apporté d’importantes contributions à la science, à la médecine, au service public, à l’art, à la littérature et à la réalisation de films au Canada. Pour ma part, je sais, sur la base de mon expérience personnelle — car j’ai passé beaucoup de temps dans les hôpitaux — que les hôpitaux de Vancouver et des environs ne disposeraient pas d’autant de ressources sans les contributions des Canadiens d’origine chinoise, en particulier pendant la pandémie.

En mettant en évidence les réalisations incroyables de Canadiens d’origine chinoise de la Colombie-Britannique, j’espère nous faire mieux comprendre leurs généreuses contributions. Je commencerai par notre ancienne collègue, Vivienne Poy, une sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Poy a été nommée au Sénat du Canada en 1998 par le premier ministre Jean Chrétien. Première Canadienne d’origine chinoise à être nommée au Sénat, elle a consacré la majeure partie de son mandat de 14 ans aux questions d’égalité des sexes, de multiculturalisme, d’immigration et de droits de la personne et a été la marraine du projet de loi visant à faire du mois de mai le Mois du patrimoine asiatique au Canada.

À l’extérieur du Sénat, Vivienne est une entrepreneure accomplie, une auteure et une philanthrope. Titulaire d’un doctorat en histoire de l’Université de Toronto, elle a écrit de nombreux livres et elle nous a éclairés sur des questions comme les relations sino-canadiennes et l’immigration chinoise au Canada. De plus, elle a courageusement pris la plume pour parler des difficultés personnelles vécues par sa propre famille. Depuis sa retraite du Sénat, Vivienne poursuit son travail auprès d’organismes qui visent à améliorer le sort des femmes et des filles dans les pays en développement.

Vivienne, lorsque je suis arrivée au Sénat, vous m’avez été d’une aide précieuse, et j’ai toujours apprécié notre amitié chaleureuse.

En Colombie-Britannique, il y a un homme qui nous a rendu d’énormes services. Il s’agit de David Lam, qui comprenait à la fois ce que représente la lutte contre des préjugés bien ancrés et l’espoir et la promesse d’avenir qu’offre le Canada. David Lam était le 25e lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, de 1988 à 1995, et il a été le premier Canadien d’origine chinoise à être nommé vice-royal au Canada. Il a décrit son rôle à titre de lieutenant‑gouverneur comme celui d’un « guérisseur de plaies, une sorte de médiateur entre des personnes aux visions différentes, et une personne qui est une source d’encouragement et d’inspiration ».

Le lieutenant-gouverneur Lam a émigré au Canada avec sa famille en 1967. Il est devenu l’un des principaux promoteurs immobiliers de Vancouver, où il a fini par créer sa propre entreprise. Il a contribué à attirer les investisseurs de Hong Kong à Vancouver. Il croyait fermement à la nécessité de redonner quelque chose à son pays, ainsi qu’au pouvoir de l’éducation et de la sensibilisation culturelle. En 1983, il a créé la fondation David et Dorothy Lam et la société philanthropique Floribunda. Ces deux organismes caritatifs versent chaque année des millions de dollars à des projets communautaires britanno-colombiens, comme le Jardin chinois classique du Dr Sun Yat-Sen.

Il a également financé de nombreuses initiatives en collaboration avec des universités de la Colombie-Britannique, notamment l’Institute of Dispute Resolution et l’auditorium David Lam à l’Université de Victoria, ainsi que le David Lam Centre for International Communication à l’Université Simon Fraser.

Comme le lieutenant-gouverneur Lam, Milton Wong a su concilier une carrière fructueuse dans le monde des affaires et un sens aigu de la responsabilité sociale. Il a grandement contribué à sa communauté de Vancouver dans divers domaines tels que la finance, les arts et la culture, le développement durable, le multiculturalisme et le milieu universitaire. Il a notamment fondé la Laurier Institution, un organisme à but non lucratif dédié à l’étude de la diversité au Canada.

M. Wong s’est toujours efforcé d’encourager les jeunes et les politiciens en herbe à jouer un rôle actif dans la vie politique et la communauté. Il m’a accompagné dans les moments difficiles de ma vie politique et s’est réjoui avec moi lorsque j’ai été nommé au Sénat. Il a été un véritable mentor pour de nombreuses personnes et je me souviendrai toujours de ce qu’il a fait pour moi.

En terminant, j’aimerais rendre hommage à mon amie Edith Nee, récipiendaire de la Médaille du jubilé d’or de la reine .

(1800)

Parmi ses nombreuses fonctions, elle a siégé à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et assuré la direction du Conseil de presse de la Colombie-Britannique. Edith a consacré sa carrière à statuer sur des questions relatives à l’immigration, aux réfugiés, aux pensionnats autochtones, à l’éthique de la presse et à la liberté.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Jaffer, je dois m’occuper d’un aspect technique.

Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, Edith s’intéresse de très près aux communautés de la Colombie-Britannique. Elle prône l’autonomisation des femmes et des minorités visibles et a même participé à titre de déléguée canadienne à la Conférence mondiale sur la condition de la femme, organisée par les Nations unies à Nairobi en 1985.

Edith Nee et Patsy George ont donné des moyens aux femmes — à des femmes issues de communautés ethniques et à des femmes de couleur — en fondant la Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women in British Columbia ainsi que l’Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada. Elles ont travaillé fort pour qu’aucune femme ne soit laissée pour compte.

En soulignant l’œuvre de ces quelques personnes, j’ai voulu rappeler à tous la générosité dont les Chinois ont fait preuve à l’égard de la Colombie-Britannique ainsi que leur amour pour le Canada en général tout en soulignant leurs réalisations et leur service public.

Honorables sénateurs, nous sommes tous conscients du débat qui se déroule au pays, et en particulier sur la Colline. J’exhorte — j’implore, en fait — chacun d’entre vous à réaliser que ce qui se passe entre le Canada et la Chine n’est pas l’œuvre des Canadiens d’origine chinoise. Nous devons veiller à ce que les relations entre ces gouvernements n’aient pas d’incidence sur nos concitoyens. Je vous exhorte tous à en être conscients et à y mettre un frein.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Merci. Profitons également de cette occasion pour rappeler que la diversité rend notre pays plus fort. Elle est la clé de notre prospérité collective. Il n’y a pas de place au Canada pour l’intolérance ou la haine. Nous ne devrions plus jamais adopter une loi telle que la Loi d’exclusion des Chinois. Nous ne devrions plus jamais traiter les Canadiens d’origine chinoise différemment des autres Canadiens. Ils font partie du Canada. Je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Droits de la personne

L’étude sur les enjeux liés à son mandat—Autorisation au comité de demander au gouvernement une réponse au quatrième rapport du comité, adopté durant la deuxième session de la quarante-troisième législature

L’honorable Salma Ataullahjan, conformément au préavis donné le 26 avril 2023, propose :

Que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, déposé au Sénat le 16 juin 2021 et adopté le 23 juin 2021, durant la deuxième session de la quarante-troisième législature, le ministre de la Sécurité publique étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport, en consultation avec le ministre de la Justice et procureur général du Canada, le vice‑premier ministre et ministre des Finances, le ministre des Services aux Autochtones, le ministre des Relations Couronne‑Autochtones, le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, ainsi que le ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Affaires étrangères et commerce international

La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada—Motion tendant à inscrire à l’ordre du jour le vingt-sixième rapport du comité déposé pendant la première session de la quarante-deuxième législature—Ajournement du débat

L’honorable Peter M. Boehm, conformément au préavis donné le 4 mai 2023, propose :

Que le vingt-sixième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, déposé au Sénat le 11 juin 2019, durant la première session de la quarante-deuxième législature, soit inscrit à l’ordre du jour sous la rubrique Autres affaires, Rapports de comités – Autres, pour étude à la prochaine séance.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour expliquer et défendre la motion, qui représente le premier pas vers l’adoption définitive par le Sénat du rapport de 2019 du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada.

Le rapport a été déposé au Sénat le 11 juin 2019, lors de la première session de la 42e législature, mais n’a pas été adopté avant la dissolution du Parlement cet été-là en prévision des élections fédérales d’octobre 2019.

Malgré l’exhaustivité du rapport sur un sujet important et l’importance que les adeptes et les partisans accordent à la diplomatie culturelle et aux programmes d’études canadiennes, cela signifie qu’aucune réponse n’a été demandée au gouvernement du Canada.

Si cette motion est adoptée — et ensuite le rapport —, une réponse du gouvernement sera demandée et exigée par Affaires mondiales Canada et Patrimoine Canada.

En plus de moi et de nos collègues qui siègent actuellement au comité, c’est-à-dire les sénateurs Coyle, Greene et Housakos, nos collègues qui étaient membres du comité pendant l’étude faisant l’objet du rapport étaient les sénateurs Ataullahjan, Cordy, Dean, Massicotte et Saint-Germain.

À l’époque, le comité comptait des membres qui sont aujourd’hui d’anciens collègues, notamment la sénatrice Raynell Andreychuk, ma prédécesseure au poste de président, ainsi que les sénateurs Dennis Dawson et Thanh Hai Ngo.

Plusieurs autres sénateurs ont contribué à l’étude du comité, y compris nos collègues actuels le sénateur MacDonald, membre du comité, le sénateur Cormier, la sénatrice Martin, la sénatrice Miville-Dechêne, le sénateur Mockler, le sénateur Oh et le sénateur Tannas. L’ancienne sénatrice Anne Cools et l’ancien sénateur Richard Neufeld y ont aussi contribué.

Chers collègues, je dresse la liste de tous ces noms pour souligner le vaste éventail d’expérience et d’expertise dont le comité a profité de 2017 à 2019, au cours de son étude sur « [...] l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes [...] »

Il reste une sénatrice que je n’ai pas encore nommée, une membre du comité au moment de l’étude, dont la défense inébranlable de l’importance de la diplomatie culturelle comme pilier de la politique étrangère du Canada est à l’origine de l’étude du comité et du rapport que nous songeons maintenant à réinscrire au Feuilleton. Cette sénatrice est, bien sûr, notre chère collègue la sénatrice Patricia Bovey...

Des voix : Bravo!

Le sénateur Boehm : Comme nous le savons tous, elle nous quittera bientôt. Bien avant sa nomination au Sénat en 2016, la sénatrice Bovey avait occupé les fonctions de directrice de galerie d’art, d’historienne de l’art et de professeure dans le domaine des arts et de la culture, ce qui explique qu’elle soit une ardente défenseure de la diplomatie culturelle.

Son militantisme pour une cause largement méconnue et sous‑estimée s’est poursuivi tout au long de son mandat de six ans et demi à titre de sénatrice, comme en fait foi son témoignage devant le Comité des affaires étrangères et du commerce international, jeudi dernier, le 4 mai, lors de la deuxième des trois réunions prévues sur la diplomatie culturelle et les programmes d’études canadiennes.

Chers collègues, j’espère sincèrement que cette motion sera adoptée aujourd’hui, pendant que la sénatrice Bovey, qui terminera son mandat le jeudi 11 mai prochain, est encore en fonction dans cette enceinte.

Cela signifie qu’elle aura eu la chance de s’exprimer et, surtout, de voter à l’étape cruciale pour mener à bien sa pièce maîtresse — c’est-à-dire enfin adopter le rapport intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada.

Honorables sénateurs, au début de mon intervention, j’ai souligné que les acteurs et les adeptes de la diplomatie culturelle et des programmes d’études canadiennes accordent une grande importance à ce rapport, malgré qu’il n’ait pas encore été adopté par le Sénat. Les membres du comité ont clairement entendu le message des témoins qui se sont prononcés récemment au sujet de la diplomatie culturelle dans le cadre des travaux du comité. Le 27 avril, le comité a mis l’accent sur les études canadiennes, tandis que le 4 mai, il s’est penché sur les arts et la culture. Demain, le 10 mai, le comité clôturera ses réunions sur la diplomatie culturelle par des comparutions de hauts fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada et de Patrimoine canadien.

(1810)

Le résumé du rapport 2019 indique ce qui suit :

Les arts et la culture sont des atouts de notre politique étrangère. Or, l’intérêt du gouvernement du Canada pour la diplomatie culturelle n’a pas toujours été constant, au fil des ans : des initiatives ont été entreprises puis progressivement abandonnées. Pourtant les artistes, les écrivains et les organismes culturels n’ont jamais cessé, eux, de faire rayonner la culture et les arts de notre pays sur la scène internationale.

Chers collègues, tout cela reste vrai quatre ans plus tard. Les défenseurs de la diplomatie culturelle n’ont pas cessé leurs efforts, et le gouvernement n’a pris aucune mesure réelle, bien qu’il ait explicitement déclaré son soutien à la diplomatie culturelle. Dans la lettre de mandat qu’il a adressée à l’honorable Mélanie Joly lors de sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères en 2021, le premier ministre a demandé à la ministre Joly de :

Travailler avec le ministre du Patrimoine canadien pour lancer une nouvelle stratégie de diplomatie culturelle afin de tirer profit du travail des artistes et des industries culturelles du Canada dans l’avancement des objectifs diplomatiques du pays.

De même, lorsque l’honorable Pablo Rodriguez a été reconduit dans ses fonctions de ministre du Patrimoine canadien en 2021, le premier ministre lui a confié le mandat de :

Travailler avec la ministre des Affaires étrangères pour lancer une nouvelle stratégie de diplomatie culturelle et veiller à ce que les artistes canadiens profitent de cette initiative.

Même sans inclure la période de la pandémie de COVID-19, on voit que le soutien gouvernemental pour la diplomatie culturelle a été irrégulier, comme le dit le rapport. Chers collègues, les gestes en disent plus long que les paroles, et le manque de gestes concrets dans ce dossier — même si de nombreux Canadiens ne s’en rendent pas compte — nuit beaucoup à nos intérêts internationaux.

Chers collègues, je vais en rester là parce que, comme je l’ai dit, il s’agit du premier pas dans l’adoption du rapport. Une fois cette motion adoptée, nous aurons l’occasion de débattre du rapport.

Je vous remercie, honorables sénateurs, et je remercie tout particulièrement notre collègue la sénatrice Bovey de son soutien inébranlable et de sa défense de la culture canadienne et des arts sur la scène internationale.

Merci.

L’honorable Patricia Bovey : Merci, sénateur Boehm.

Chers collègues, je prends la parole plus tard que je ne le prévoyais, mais je crois qu’il s’agit d’un sujet vraiment important pour notre pays. Le rapport intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, que le Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international a déposé en juin 2019, est un rapport important. Il est malheureux qu’il ait été déposé juste avant la relâche estivale, puis qu’il y ait eu des élections, et ensuite la COVID. Nous voici donc à rattraper le temps perdu. Il aurait été préférable que nous donnions suite à ce rapport plus tôt.

Lorsque j’ai suggéré que le Comité des affaires étrangères et du commerce international se penche sur la diplomatie culturelle, je croyais sincèrement à ce moment que le pouvoir discret de la culture était essentiel pour le Canada sur la scène internationale, et je le crois toujours. Génératrice d’échanges commerciaux et de croissance économique, la diplomatie culturelle est importante pour les négociations et les collaborations internationales. La culture illustre qui nous sommes : nos valeurs nationales, nos racines et nos diversités. Courroie de transmission des messages et des réalités du Canada à l’étranger, la culture raconte aux autres ce qu’est le Canada, et d’où nous venons. Elle leur montre le courage avec lequel nous avançons. C’est essentiel. Nos partenaires étrangers doivent comprendre notre culture, notre code d’éthique et notre histoire.

L’importance fondamentale de la diplomatie culturelle pour le commerce international et les relations extérieures a fait l’objet de nombreuses études et publications. Aujourd’hui, je continue de souscrire au rapport britannique de 2007 sur la diplomatie culturelle, rédigé par Kirsten Bound, Rachel Briggs, John Holden et Samuel Jones, où l’on peut lire que « plus que jamais, la culture a un rôle vital à jouer dans les relations internationales ».

Le rapport poursuit en affirmant que la culture est :

[…] le moyen d’en venir à comprendre les autres et une dimension innée de la vie que nous apprécions et que nous recherchons. Les échanges culturels nous permettent d’apprécier les points communs et, lorsqu’il y a des différences, de comprendre les motivations et l’humanité qui les sous-tendent […] ces caractéristiques font de la culture un espace de négociation incontournable et un outil d’échange dans la recherche de solutions communes […]

La valeur de l’activité culturelle découle justement de l’indépendance et de la liberté qui la caractérisent ainsi que du fait qu’elle reflète la réalité des gens et les rapproche [...]

Notre rapport a été adopté à l’unanimité par le comité, que présidait l’ancienne sénatrice Andreychuk. Encore une fois, je remercie les membres qui siégeaient à ce comité entre 2017 et 2019, en particulier le sénateur Oh et la sénatrice Ataullahjan, qui ont adhéré à ce projet d’emblée et avec enthousiasme. Nous avons examiné la question ainsi que ses répercussions et ses avantages dans une perspective à 360 degrés — artistes, organisations artistiques, commerce extérieur et missions commerciales, entreprises, ambassades canadiennes — en comparant le tout à ce qui se faisait ailleurs. Tous nos interlocuteurs ont souligné l’importance de la culture sur la scène internationale comme moyen de rehausser le prestige du Canada à l’étranger.

Nous avons entendu des diplomates canadiens et étrangers, des organismes de financement canadiens et étrangers, des artistes de toutes les disciplines, des éducateurs, des universitaires, des organismes artistiques, des chefs de file du monde des affaires et des représentants d’Affaires mondiales Canada, Conseil des arts du Canada et de Patrimoine canadien. On nous a souligné que le rôle que joue le Canada sur la scène internationale profite grandement du travail des artistes de toutes les disciplines, qui, en mariant de multiples dimensions internationales, définissent nos valeurs nationales et renforcent le prestige économique et social du Canada à l’étranger.

On nous a aussi dit à quel point la compréhension culturelle intensifie l’activité commerciale du Canada à l’étranger. Citant les impressionnants avantages économiques tangibles et plus encore que procurait l’ancien programme des Routes commerciales, des témoins ont souligné le besoin crucial de soutien pour permettre aux artistes d’exporter leurs œuvres et leur connaissance du Canada à l’étranger. Il était évident que nous devons revoir nos approches en matière de diplomatie culturelle.

Dans son témoignage, Simon Brault, directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada, a dit que :

[...] en raison de la réduction du financement par les gouvernements précédents, nous accusons un retard de 10 ans par rapport à là où nous étions et à là où nous pourrions être.

Notez bien le pluriel à « gouvernements ». Je crains que nous accusions maintenant un retard encore plus grand.

[Français]

J’espère sincèrement que la culture sera de nouveau un aspect important de la politique étrangère du Canada. Puissent les attachés culturels et le personnel qui a une compréhension de l’art et des connaissances en art accorder une plus grande présence à l’art canadien dans toutes les ambassades canadiennes, sur les scènes internationales, dans les théâtres, les salons du livre, les galeries d’art et les musées, ainsi que dans d’autres centres culturels et dans les festivals.

[Traduction]

J’espère aussi que les artistes et les organismes artistiques canadiens participeront de nouveau à des missions commerciales internationales.

L’annonce par le ministère du Patrimoine canadien, en 2018, de la mise en place de la Stratégie d’exportation créative était encourageante. Cette stratégie visant à aider les industries créatives du Canada à trouver des débouchés dans de nouveaux marchés partout dans le monde était dotée d’un budget annoncé de 125 millions de dollars à l’appui de trois grands piliers : bonifier le financement à l’exportation prévu au programme du ministère du Patrimoine canadien; élargir et renforcer la présence des industries créatives du Canada à l’étranger; et créer le programme de financement Exportation créative Canada ainsi qu’établir les liens nécessaires pour concrétiser des ententes commerciales. Étant donné que cette stratégie était accessible à tous les médias, y compris le design, aux organismes à but lucratif et sans but lucratif, de même qu’aux organismes, gouvernements ou conseils des Premières Nations, des Inuits et des Métis, il était évident, dès l’octroi de la première série de subventions, que les sommes prévues étaient bien inférieures à la demande.

J’ai insisté sur l’influence de la diplomatie culturelle lors de toutes mes discussions en Europe, en Amérique du Sud, au Mexique, aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi que, ce matin, durant une rencontre avec des parlementaires du pays de Galles. D’ailleurs, au fil des années, durant toutes mes rencontres avec les membres des organisations du cercle arctique et de l’Arctique circumpolaire, l’importance cruciale des cultures et des langues autochtones a constamment été soulignée.

Chers collègues, la culture joue un rôle essentiel dans toutes nos relations internationales. Il est vraiment stimulant de voir les œuvres d’artistes canadiens dans des lieux tels que la Maison du Canada à Londres ou notre ambassade à Paris. On trouve des œuvres d’art de chaque province et territoire à la Maison du Canada, à Trafalgar Square.

J’ai aussi gardé à l’œil la propriété intellectuelle et le droit d’auteur dans nos accords commerciaux : l’Accord Canada—États‑Unis—Mexique, ou l’ACEUM; l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, ou l’AECG; l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou le PTPCP. Je suis heureuse que le gouvernement ait insisté lors de ces négociations pour protéger la culture et la propriété intellectuelle du Canada, défendues notamment par l’ancien ministre du Commerce international Jim Carr, un ancien hautboïste de l’orchestre symphonique de Winnipeg et ancien PDG du Conseil des arts du Manitoba.

Encourageant la collaboration avec les provinces, nos huit recommandations ont accordé la responsabilité de la diplomatie culturelle à Affaires mondiales Canada, à Patrimoine Canada et au Conseil des Arts du Canada, en accordant le rôle prépondérant à Affaires mondiales Canada. Affaires mondiales Canada possède des biens immobiliers dans le monde entier et a du personnel et des relations avec la population locale sur place. Patrimoine Canada et le Conseil des arts du Canada possèdent une expertise en matière d’arts, de culture et de patrimoine. Nous n’avons pas de Goethe‑Institut, de British Council ni de Fondation du Japon, mais nous avons l’occasion de mettre en valeur nos créateurs et nos idées remarquables.

(1820)

Nous avons besoin d’objectifs clairement définis, d’une formation culturelle pour le personnel des ambassades à l’étranger, de mécanismes de surveillance à court et à long terme et d’un programme d’apprentissage à l’aide d’études canadiennes à l’étranger.

Le comité a expressément recommandé, entre autres, que la diplomatie culturelle dans les relations internationales du Canada joue un rôle de plus en plus important en mettant en valeur l’innovation et l’excellence des artistes canadiens ainsi que la force et la diversité culturelles au Canada en exprimant les origines multiculturelles des Canadiens, que le secteur des arts et de la culture fasse partie de toutes les missions commerciales canadiennes, et que les ambassades canadiennes présentent des artistes et des organismes canadiens à l’étranger et leur donnent de l’aide. De plus, il a veillé à ce que toutes les missions canadiennes aient un attaché culturel ou un membre du personnel qualifié qui est capable d’appuyer le travail culturel du Canada et ses collaborations internationales.

Je continue à soutenir chacune des huit recommandations.

[Français]

Les premières étapes qui ont suivi la publication du rapport ont été encourageantes, mais tronquées par la COVID-19. Le Canada a perdu un pouvoir culturel considérable au début des années 2000. Nous devons le retrouver. Avec les conflits internationaux actuels, la diplomatie culturelle est encore plus importante.

[Traduction]

Comme on dit souvent : « En période d’instabilité politique, la culture permet de garder des portes ouvertes. » L’UNESCO demande qu’il y ait « un dialogue fondé sur la musique et les arts, qui sont des vecteurs de consolidation de la compréhension mutuelle et des interactions, mais aussi de l’établissement d’une culture de la paix et du respect de la diversité culturelle ».

La publication de notre rapport a mené à quelques changements positifs. Le Conseil des Arts du Canada a lancé un volet de financement spécial pour les activités internationales. Affaires mondiales Canada a mis sur pied un programme de formation préliminaire.

Les organisations étaient prêtes. Récemment, Mary Reid de la galerie d’art de Woodstock a présenté des portraits d’auteurs canadiens de l’artiste John Hartman à la Maison du Canada, à Londres en Angleterre. William Huffman a exposé des œuvres d’art de Cape Dorset à Varsovie et en Corée.

À l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’été dernier à Birmingham, 780 parlementaires de partout sur la planète ont voté à l’unanimité pour défendre la sécurité de l’Arctique. Les arts et la culture faisaient partie des discussions, comme cela a toujours été le cas lors des réunions de l’organisation auxquelles j’ai participé en tant que sénatrice.

En novembre, les délégués des Premières Nations canadiennes à la COP 27 ont présenté avec brio les approches culturelles des Premières Nations en matière de lutte contre les changements climatiques. Vous savez également que le travail va bon train en ce qui concerne la participation au Musée du patrimoine panafricain, au Ghana.

Il y a trois ans, lorsque j’ai participé pour la première fois à une rencontre du Conseil international de la conservation du musée, j’ai été surprise d’apprendre qu’on percevait le Canada comme faisant partie des États-Unis. Cette idée fausse ayant maintenant été dissipée, notre comité directeur chargé du contenu pour la participation virtuelle et en personne, présidé par Chantal Gibson, une artiste et poétesse de Colombie-Britannique, est vu comme un modèle à suivre.

Notre rapport sur la diplomatie culturelle a servi de catalyseur pour le financement d’Affaires mondiales Canada et du Conseil des arts du Canada, ce qui a permis l’embauche de six conservateurs régionaux noirs.

[Français]

Ces activités récentes sont encourageantes, mais elles sont rares, puisque la politique de diplomatie culturelle n’a pas été officiellement adoptée. Elle n’est ni connue ni comprise, et elle n’est pas pleinement mise en œuvre par Affaires mondiales Canada, même si j’ai reçu de nombreux encouragements de la part de certains ambassadeurs et responsables. Nombreux sont ceux qui, comme moi, croient que la diplomatie culturelle a besoin d’une plus grande visibilité au sein du ministère lui-même pour être aussi efficace qu’elle pourrait et devrait l’être. Le résultat serait transformateur pour le Canada dans son ensemble, pour sa culture et sa place dans le monde.

[Traduction]

En m’appuyant sur mon rôle de sénatrice et mon expérience professionnelle antérieure de représentante des arts canadiens en Europe, en Asie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, je peux confirmer qu’une forte diplomatie culturelle sera avantageuse pour le Canada tant au pays qu’à l’étranger, pour les créateurs et les organismes culturels d’ici. Les retombées économiques au Canada seront importantes, comme elles l’étaient avant que le programme soit supprimé, et notre secteur touristique en profitera.

Plus que jamais, nous avons besoin que nos alliés nous connaissent. En tant que membre de l’UNESCO, nous avons la responsabilité de contribuer à la protection de la culture contre les ravages de la guerre et des changements climatiques. La diplomatie culturelle est le moyen approprié pour y arriver.

En parlant de diplomatie culturelle, Simon Mark a écrit que son :

[...] potentiel réside dans ses liens avec la culture nationale, les valeurs nationales, l’identité nationale et la fierté nationale [...] [Elle] peut montrer la personnalité d’un État d’une façon qui résonne chez les gens [...] Le pouvoir d’une performance culturelle, d’un film ou d’une bourse d’études d’établir des liens ne devrait pas être sous-estimé.

Je vais conclure par une histoire personnelle.

Dans les années 1990, j’ai visité une magnifique petite libraire du Royaume-Uni, à Durham. Il y avait des livres jusqu’au plafond, des étagères pleines à craquer et trois grandes tables rondes remplies d’ouvrages d’auteurs canadiens. J’ai demandé s’il y avait un festival de littérature canadienne. « Non, a dit le propriétaire. Les tables sont réservées aux meilleurs auteurs du monde. Vous avez du mal à accepter qu’ils soient tous canadiens? »

Avant son départ, un ancien ambassadeur du Japon au Canada m’a dit que les meilleurs auteurs sont au Canada. Il a apporté bon nombre d’œuvres d’auteurs canadiens au Japon pour les faire traduire. Le Canada aurait dû faire ces traductions, ou il aurait pu les faire.

Nous savons évidemment qu’Alice Munro a reçu le prix Nobel de littérature, que Margaret Atwood est célébrée dans le monde entier et que l’adaptation cinématographique du livre primé de Mariam Toews, Ce qu’elles disent, a remporté un Oscar cette année. Un Canadien de l’île de Vancouver, Aaron Watkin, a récemment été nommé directeur artistique désigné de l’English National Ballet, et Naomi Woo, fille du sénateur Woo, s’apprête à déménager en Europe pour y poursuivre sa carrière de cheffe d’orchestre compte tenu des nombreuses invitations qu’elle a reçues.

Honorables collègues, nos créateurs sont respectés au-delà de nos frontières, même si, selon moi, ils ne reçoivent pas le soutien qui leur est dû.

Nous ne devrions pas cacher les créateurs qui disent au monde qui nous sommes. C’est surtout la culture qui fait rayonner le Canada à l’étranger. Comme c’était déjà le cas pendant des décennies avant les compressions dans la culture, ce quatrième pilier de la diplomatie, les investissements du gouvernement seront bien modestes comparativement aux multiples retombées économiques positives de ce secteur. Grâce à la diplomatie culturelle, les créateurs de renommée internationale qui font notre fierté devraient nous aider à nous démarquer, et ce, en tant que Canadiens et non en tant qu’Américains.

Je vous prie d’appuyer l’inscription de ce rapport à l’ordre du jour afin que nous puissions obtenir une réponse du gouvernement et veiller à ce que des mesures concrètes soient prises et à ce que ce genre de formation puisse se poursuivre. Merci.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(À 18 h 28, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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